Norith Daïnof
Certains le considèrent comme un illuminé. D'autres encore préfèrent se le figurer comme un lunatique, un original qui ne recherche pas la compagnie de ses pairs. Peu importe ce qu'on en dit, la seule chose qui puisse être affirmée avec certitude sur cet homme est que des années d'observation ne pourraient pas en révéler toutes les subtilités. Norith Daïnof a toujours été reconnu (et plus ou moins accepté, selon le cas) comme un drôle d'oiseau parmi les Hastanes. Enfant, il ne se fondait pas dans la foule des autres jeunes gens. Il préférait de loin errer seul, s'émerveillant de la moindre chose de son entourage. Favorisant largement les bois à la cité; la nature à la civilisation, c'est habituellement là qu'on devait le chercher, si seulement on souhaitait sa présence.
Dès son plus jeune âge, il fut passionné par toutes les formes de vie, mais surtout, par les êtres dotés de conscience. Ses géniteurs, deux fiers marchands, ne savaient que penser de leur unique enfant. Ils le laissaient s'occuper à sa façon, même s'ils savaient bien qu'un jour, il devrait se joindre aux autres. Pourtant, suite à un étrange coup du destin, il n'en fut jamais ainsi. Un froid soir d'automne, vers la mi-Frimaire, on vint frapper à la porte de la demeure familiale. Quelques Hastanes encapuchonnés étaient venus avec l'ordre d'emmener Messire et Madame Daïnof. Ne devinant rien des événements qui se déroulaient autour de lui, il écouta les hommes et les suivit, comme ceux-ci le lui avaient demandé. Au petit matin, il se réveilla dans un lit qui lui était inconnu. Un homme vint à lui et lui expliqua qu'il était le père de son père et que dorénavant, il serait celui qui s'occuperait de lui. Lorsque Norith voulut savoir où on avait emmené ses parents, il reçut comme réponse que cela importait peu pour le moment et que les explications viendraient. Norith ne reverrait jamais ses parents.
Werov Daïnof était le seul parent connu de Norith, on lui en avait donc confié l'éducation. Il était depuis longtemps veuf, sa compagne ayant été décimée par la fièvre suite à la mise au monde de leur deuxième enfant, qui lui aussi était mort dans les jours suivants l'accouchement. Il éleva donc son fils avec amour, mais à sa façon bien particulière. Cet homme savait observer la vie comme nul autre. Au fil des années, il avait acquis des connaissances élargies dans beaucoup de domaines et aimait les partager. Lorsque son fils lui annonça qu'il partait gagner sa vie par le commerce, il eut le coeur brisé et recroquevilla son esprit sur lui-même. Il vécut de nombreuses années seul, reclus chez lui, limitant ses sorties au maximum et passant le plus de temps possible à s'instruire. Dans la rue, on le considérait comme un vieillard excentrique. Comme les parents de Norith étaient conscients de cette situation, ils décidèrent qu'il était mieux pour le jeune homme de ne pas faire la rencontre de son ancien. Ce fut donc dans ces circonstances que l'enfant et le vieil homme se rencontrèrent.
Werov prit son petit-fils sous son aile. Il lui enseigna tout ce qu'un esprit curieux aurait pu vouloir savoir. Lorsque Norith questionnait cet homme étrange sur les raisons qui les avaient empêché de même connaître l'existence l'un de l'autre durant toutes ces années, Werov lui répondait que parfois, des circonstances éloignaient ou rapprochaient les gens. Il évita ainsi le sujet familial jusqu'au jour où, à l'âge des grandes questions, Norith ne supporta plus de recevoir des réponses abstraites de son mentor, qui lui fournissait sur tous les autres sujets des réponses on ne peut plus claires. C'est ce jour-là qu'il apprit la vérité. Ses parents avaient été soupçonnés de faire partie d'un culte voué à la pratique d'un Art Sombre. Ils avaient donc été pris en main par le haut-clergé et on ne les avait jamais revus. Il fut prouvé que cette affaire n'avait été qu'un malentendu, mais trop tard hélas. Norith comprit en ce jour que la conscience avait ses défauts. Nul n'était parfait, mais cette imperfection avait entraîné la mort de deux êtres qu'il chérissait. Quoique croyant d'Odéon, il sombra lentement dans la méfiance envers les institutions de tous genres.
C'est aux côtés de son mentor que, des années durant, Norith Draïnof approfondit son éducation. Des observateurs extérieurs auraient pu remarquer l'influence qu'ils avaient l'un sur l'autre, si observateur extérieur il y avait eu. Parfois, l'érudit et son apprenti sortaient observer la foule. Ils restaient tout simplement là, à observer les allées et venues des bonnes gens qui vaquaient à leurs occupations, ne se doutant pas que chacun de leurs gestes était scruté et analysé. Norith exprima, alors qu'il avait vingt ans, le désir qu'il avait de devenir un maître de la pensée et de la conscience chez les vivants. Ils dédièrent donc de plus en plus de temps à ces sessions d'observation publique. Lorsqu'ils n'étudiaient pas ensemble dans la grande bibliothèque du vieillard, ils discutaient des subtilités de la pensée. Avec le temps, il se développa et s'épanouit dans plusieurs domaines de la connaissance, mais il devint littéralement un maître de la pensée consciente. Le temps le rendit flegmatique et poussa son lunatisme à un point encore plus haut. Il contrôlait ses émotions incroyablement bien, affichant un air neutre en toutes situations. Pour approfondir sa compréhension de l'esprit, les livres et l'observation ne pouvaient plus rien faire. Il devait passer à un autre stade, un autre domaine de la connaissance. Un événement lui en donna l'opportunité.
Alors qu'il se levait, à l'aube d'un quelconque jour de printemps, il découvrit un minsucule bout de parchemin sur lequel étaient inscrits les mots d'adieu de son maître. Ce dernier lui déclarait que le temps était venu pour ces deux esprits jumeaux de se séparer et d'évoluer séparément. Il irait prendre du repos au loin. Norith, comme à son habitude, comprit son mentor et ne tenta jamais de le retrouver. Le jour même, il se rendit à la grande bibliothèque citrianne, qui n'était qu'à quelques minutes de marche de sa demeure nouvellement acquise. Il regroupa tous les livres qui portaient sur l'Illusion. L'esprit était son domaine et la seule façon qu'il avait d'aiguiser sa connaissance de celui-ci était d'apprendre à le manier et à déformer sa perception de la réalité. Toute sa vie il avait étudié pour en arriver là. À quarante-six ans, il allait réintégrer la société pour arriver à en comprendre plus. Sa soif de connaissance n'était égale qu'à sa distraction et sa maladresse. C'est alors qu'on commença à le voir prendre part à la foule. Norith Daïnof était présent, certes, mais sa méfiance n'avait en aucun point diminué. Tous les jours, il continuait à s'entraîner dans l'art de l'Illusion et du Rêve.
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