Chapitre 1
- Et n’oublie pas Ludovic, demain, 10h, pas une minute plus tard !
Ludovic feignait de ne pas entendre le râlement de son patron lorsqu’il franchit le cadre de la porte de l’Auberge de l’Étalon d’Argent. Il tâta de sa main gauche le pain qui dépassait d’un petit panier, avec quelques légumes et un pot de lait frais du matin, rajusta son luth qui était fixé à son dos et soupira après une longue soirée de travail. Il rouvrit les yeux un instant pour constater que le soleil se couchait au loin. Il avait néanmoins encore le temps.
D’un pas rapide, il se dirigea vers le parc le plus près sans porter attention à toute la foule qui s’agglutinait autour de lui, effervescence de la vie nocturne de Citria qui débuterait dans bien peu de temps. Arrivé à destination, il pris place sur un des banc libre et s’assieds confortablement. Il sépara un petit morceau du pain puis commença à dévorer une partie de ses provisions. Il émietta une partie de son pain qu’il lança devant lui et quelques oiseaux vinrent également se rassasier.
Un battement d’aile, puis deux. Ludovic ferma machinalement les yeux lorsqu’un oiseau vola un peu trop près de lui, et lorsqu’il les rouvrit, une jeune femme se tenait devant, près de lui. Il avait pourtant cru être seul quelques moments plus tôt. Elle leva ses yeux sur lui et lui parla d’une voix cristalline :
- Je peux ?
- Haec, bien sûr. Venez
Étonnant, pourtant le parc était vide, il y avait plusieurs bancs libres encore à cette heure. Mais à quoi bon se plaindre ? Elle n’irritait pas l’œil d’aucune manière. Il balaya d’un coup de manche le peu de poussière qui traînait sur la partie vacant du banc.
- Prenez place, je vous prie.
- Meldis, c’est très aimable de votre part
C’est à ce moment qu’il nota d’après ses vêtements qu’elle devait faire partie de la Noblesse, ce qui contrastait à ses vêtements communs, même s’ils auraient été considérés d’un chic particulier pour un habitant de l’extérieur des murs de Citria, Hastane ou non. Ses yeux verts, malgré son regard las, semblait enregistrer toutes les informations, jusqu’au moindre pli de la robe grise de son accompagnatrice. Il rougit un instant lorsqu’il s’aperçut que ceci pouvait être considéré comme un regard qui en dévoilait plus qu’il n’aurait voulu. Elle tenta de réprimer un sourire. Quant à elle, ses yeux bleus s’arrêtèrent sur son luth.
- Vous en jouez ?
- Pardon ? Oh… ça ? Haec, quelque peu. Bien que je ne sois pas très doué, j’apprends.
- Auriez-vous la bonté de me jouer un air enjoué ? J’ai besoin que l’on me remonte le moral ce soir…
C’est à ce moment que Ludovic comprit toute la tristesse qui se cachait dans son sourire et ses yeux couleurs de glaces. Il posa la main sur le manche de son luth, pensa un instant à ce qu’il pourrait bien joué et tira son instrument jusqu’à lui sans proférer un mot. Un peu de chaleur semblait maintenant se retrouver sur le sourire de sa voisine.
Il gratta un peu les cordes en démarrant sur un air triste, c’était son habitude. C’était son élément. La vie d’artiste n’est jamais facile, malgré tout ce que peuvent raconter les comptes de ménestrel. Le métier est dur… mais tel n’était pas la requête. Il changea rapidement l’air qu’il jouait pour augmenter le rythme et pris quelques notes plus aiguës pour rentre la mélodie plus légère.
Lorsqu’il termina de réciter la pièce, la dame ne puit s’empêcher d’applaudir l’effort de la chanson et ce, malgré les mauvaises notes que Ludovic avait grattées. Il inclina légèrement la tête en signe de remerciement face à ses encouragements. Il déposa son luth sur le bras du banc.
- Vous dites que vous n’êtes pas doué, mais vous venez de me prouver le contraire.
- Cessez de mentir ma gente dame, lui répliqua-t-il avec un sourire, avoir eu ma flûte, j’aurais pu vous jouer un air sans fausser. Je vous dois milles excuses.
- Ne vous excusez pas… Vous jouez depuis longtemps de la flûte ?
- Haec, depuis… hummm… près de 10 ans je dirais. Contrairement à ce luth, que je ne joue que depuis un an ou deux.
Elle se leva du banc d’un geste gracieux puis essuya le côté de sa robe grise, comme si de la poussière s’y était accumulée. Sans se retourner pour lui faire face, elle lui dit :
- Je vais déjà devoir y aller, mais j’espère pouvoir vous revoir bientôt
- Tout l’honneur serait mien. Au fait, je me nomme Ludovic Cauthon, me permettrez-vous l’audace de vous demander votre nom ?
- Annabelle.
- Je travaille à l’Auberge de l’Étalon d’Argent demain, Dame Annabelle, si vous pouvez vous libérer, n’hésitez pas à venir me voir.
Bien qu’elle fût dos à Ludovic, il la vit balancer la tête affirmativement puis elle fit un pas, et deux. Ludovic allait se lever et lui proposer de l’accompagner lorsqu’un second oiseau effrayé par son mouvement s’envola rapidement. Ludovic plaça instinctivement la main devant les yeux et l’instant suivant, la dame avait disparue comme elle avait apparue.
Tournant la tête de gauche à droite, il tenta de chercher Annabelle, mais fut incapable de la trouver. Il se rassied donc sur son banc pour continuer son repas. Lorsqu’il eut terminé, il se coucha sur le dos puis contempla les étoiles. Ses yeux devinrent lourds et il s’endormit.
Il se tenait là, devant la ferme familiale et ses frères étaient là, mais quelque chose n’allait pas. Siegfried devait n’avoir que 10 ans et pourtant 4 ans ne les séparaient, ce qui aurait dû lui donner 21 ans puisqu’il en avait 25. Il fit quelques pas pour le rejoindre et se posa devant lui. Siegfried ne semblait pas s’apercevoir de la présence de son frère aîné. Ludovic l’appela une première fois, mais c’est à la seconde que son plus jeune frère leva le regard.
Par contre, son regard semblait être posé bien au-delà de lui. Un sourire s’afficha et il se leva d’un bond. Il couru en direction de Ludovic, mais il passa tout droit au travers de celui-ci pour se rendre au loin. Étonné, Ludovic se retourna prestement et regardait ce qui attirait l’attention de son frère. C’était le chariot de son père. Il regarda le jeune fils tenter de rejoindre son père tout en dirigeant vers les marches de la ferme, pour s’y asseoir.
Un miaulement. Un chat ? Il n’avait pourtant pas souvenir avoir eu un chat dans la ferme familiale. Il tourna la tête en direction du balcon d’où provenait le son. Le chat émit un nouveau miaulement tout en fixant son regard bleu sur Ludovic.
- Tu serais capable de me voir toi ?
Le chat répondit par un troisième miaulement. Puis un cri de joie de Siegfried attira son attention. Sortant du chariot, son père le serra dans ses bras. Puis une seconde tête sortie du chariot et ce n’était nul autre que lui-même. Il fut étonné de se revoir, à 14 ans… et il avait une flûte dans ses petites mains.
- Nous sommes ce jour-là ? Je me souviens ! Nous revenions du Marché de Citria pour vendre le surplus de nos récoltes… C’est le jour où…
Décidemment, parler à haute voix ne semblait déranger personne, mais Ludovic eut tout de même le réflexe de garder ses réflexions pour lui-même. Le père et ses deux fils s’avancèrent vers lui, vers la porte de la ferme familiale. Ludovic en profita pour entrer en même temps que… lui-même.
Il ne pu s’empêcher d’humer l’odeur du repas que sa mère avait vaillamment préparé. Elle était là devant eux, souriante comme toujours. Elle aperçut la flûte que son fils aîné tenait en main et la questionna sur où il avait bien pu trouver ça.
- C’est un Ménestrel qui lui en a fait cadeau à Citria
- Cadeau ? lui posa-t-elle un peu perplexe
- Haec, il a assisté à sa représentation une partie de la journée et parce qu’il semblait bien aimé, il lui a offert.
Étonnée de par l’intérêt porté à la musique de son propre fils, Mère Cauthon regarda Ludovic lui expliquer à quel point sa journée avait été fantastique et qu’il était touché par les chansons du Ménestrel. Le Ludovic le plus âgé se souvenait exactement de cette journée, il quitta la salle à manger pour refaire une visite de la ferme qu’il n’avait pas vue depuis plusieurs années.
Lorsqu’il arriva près de sa chambre, il vit de nouveau le chat gris le regarder. Et un instant suivant, une forte douleur se répandit dans ses côtes. Il se réveilla en un sursaut.
- Allez ! Débout Citadin ! Vous n’avez pas le droit de dormir dans un parc ! Allez, bougez !
- Quoi ? Il massa sa côte endolorie par un coup de manche d’hallebarde d’un garde de la ville. Quelle heure est-il ?
- Il est dépassé 9 heures Citadin !
Ludovic se leva rapidement de son banc, ramassa rapidement ses effets personnels et se mit à courir vers l’Auberge. S’il arrivait encore en retard, il ne pensait pas qu’on le garderait encore à l’emploi. Il fit du plus vite qu’il pu et reprit son souffle avant d’entrer à l’intérieur de l’Auberge de l’Étalon d’Argent. Il vit l’Aubergiste qui semblait toujours travailler là peu importe le jour ou le temps qui le regardait avec un sourire.
- En avance, c’est une première ! Profites-en pour éplucher les légumes Ludovic
- Haec, tout de suite.
Ludovic changea ses vêtements pour enfiler son uniforme de travail puit en profita pour faire un brin de toilette. De retour aux cuisines, il commença à préparer le long repas du souper, toujours sous le regard scrutateur de l’Aubergiste.
Plusieurs heures plus tard, lorsque tout fut complété, Ludovic prit une pause à l’extérieur de l’Auberge. Il s’assied sur un petit banc près de la sortie arrière et reprit son souffle. Un miaulement. Encore ? Il chercha du regard la provenance du miaulement et aperçut un chat similaire à celui qu’il avait vu dans son rêve la veille.
Il l’appela et se dernier ne semblait pas effrayé du tout et vint jusqu’à lui, se caressant sur sa jambe droite. Il souleva le chat du sol puis le posa sur ses genoux et le contempla. Les yeux bleus perçant et la fourrure grise tout comme dans son rêve, il n’y avait pas d’erreur.
- Et que dirais-tu si je t’appelais Annabelle ?
Le chat lui répondit par un miaulement, ce qui fit bien sourire Ludovic.