Même la nuit, Citria était resplendissante. Sous la lueur laiteuse de la lune et le scintillement des étoiles, la grande cité des Hastanes se tenait fièrement, monument de la fierté du peuple choisi d’Odéon. Les rues principales, toujours vivantes en cette fin de soirée, étaient illuminées par de hauts lampadaires, versant leur clarté mielleuse sur les passants. Citria était certainement une ville de lumière. « Le mal et l’injustice ne peuvent subsister à la lumière, car c’est la nature du faux et du mensonge que de rester caché, » répétaient régulièrement les fervents d’Odéon depuis maintenant des siècles. Les citoyens de la grande ville, pour la plupart, n’avaient rien à cacher, et se plaisaient à vivre une vie éclairée, jouissant de la lumière comme d’une divine métaphore de la faveur de leur Cilias. Ce soir là, les rues étaient occupées, comme à l’habitude, par les légionnaires faisant leur ronde, les quelques citadins se déplaçant d’un endroit à l’autre, pour un événement social quelconque, une sortie entre amis, ou un rendez-vous d’affaire tardif, ainsi qu’un nombre de voyageurs nouvellement arrivés, marchands et pèlerins, cherchant foi ou fortune.
Josiah de Valardent comptait parmi leurs nombres; un jeune homme à la complexion plutôt sombre d’environ dix-huit hivers. Ses yeux d’un bleu perçant ornaient son visage présentant une symétrie étrangement parfaite, témoignant de la profondeur de son âme. Certes, côté esthétique, ce jeune homme était doté d’une apparence des plus agréables et naturelle. En fait, le seul reproche que les préceptes de beauté Hastane auraient pu lui faire est celui d’un manque de regard face aux soins communs à la populace noble et marchande de Citria. Ses cheveux d’une couleur foncée trop courts pour être long et trop longs pour être courts ainsi que sa barbe vieille de quelques jours auraient pu, selon certains, bénéficier des services d’un des nombreux barbiers de la ville. Une remarque semblable aurait pu être faite à propos de son accoutrement qui, malgré qu’il ne fût pas mauvais, ne faisait pas justice à sa beauté naturelle. Il était vêtu simplement, de cotons et de lins, des vêtements de voyage, résistants mais assez amples pour vaincre la chaleur de la route. Sous ses vêtements se cachait un corps d’athlète, finement entraîné autour d’un cadre solide de 6 pieds 2 pouces.
Parmi ses maigres bagages, d’autres indices de son origine pouvaient être détectée par l’observateur astucieux. Porté sur son épaule, son sac de selle débordait d’une fourrure, vraisemblablement part d’un attirail plus chaud, comme ceux portés par les habitants des régions au nord de l’Empire. Valardent se trouvait dans le comté le plus au nord du territoire Hastane, une vallée juchée entre quelques montagnes, jouissant d’été doux et d’hiver froids. Le nom, plutôt inapproprié pour la réalité de cet endroit, lui avait été donné jadis pour attirer les colons qui iraient peupler la région dans le but d’y établir une communauté pouvant soutenir les légions stationnés dans les environs pour garder un œil constant sur les terres des Gorlaks, non loin de là. Certains avaient tout d’abords froncés les sourcils face à cette tactique de promotion douteuse, mais ces soucis furent bien rapidement oubliés considérant le fait que les nouveaux arrivants en avaient fait un endroit très propice à une bonne vie. Les habitants de Valardent, comme tout bon Hastane, étaient fier de leur peuple, de leurs accomplissements, et par un dur labeur soutenu, avaient fait de leur contrée un havre de sécurité dans les montagnes. C’était un endroit paisible, et bien qu’on n’y trouva pas toutes les sophistications de Citria, la vie y était confortable.
Josiah était issu d’une famille aisée, comme c’était généralement le cas pour les Hastanes. Ses parents, des gens honnêtes et pieux originaires de Valardent l’avaient élevé selon l’art Hastane. Son père, un ingénieur, avait quitté le village étant jeune pour aller étudier à Citria. Il était revenu après ses études, et travaillait maintenant à développer les projets d’infrastructure dans la vallée. Sa mère avait instruit ses enfants dans l’art des lettres, de l’histoire, de la géographie et, bien entendu, selon les préceptes du culte d’Odéon. Sa jeunesse avait été relativement facile, et il était bien rapidement devenu un homme, accoutumé au travail physique ainsi qu’aux tâches de l’esprit. Bien que son éducation ait été stricte, comme il est coutume chez les Hastanes, il n’avait jamais trouvé en lui le désir de rébellion, et trouvait plaisir à honorer ses parents et sa communauté. Réservé de nature, il avait pris l’habitude de ne parler que lorsqu’il avait quelque chose d’important, ou du moins d’intelligent et pertinent, à dire. Souvent, il avait passe de longues heures de solitudes, à explorer seul les environs du val, laissant l’air et le roc des montagnes lui donner force et lui enseigner la sagesse. Il se considérait libre, et aimait vivre selon le principe que « la vraie liberté n’est possible que dans l’ordre. L’individu qui ne suit que ses propres règles devient l’esclave des circonstances. » Soucieux de profiter de cette liberté, plutôt que d’en abuser, il était devenu un jeune homme appliqué, travaillant et perfectionniste, considérant tout ce qu’il faisait comme une contribution plutôt qu’une simple expression de sa personne.
Bien que son image publique soit immaculée, Josiah avait tout de même certains traits qu’on pourrait qualifier de défauts. Aventurier de nature, ses actes frôlaient parfois la temerite, non pas par cause d’orgueil, mais d’un besoin profond du risque. Un prêtre du culte d’Odéon l’avait averti, lorsqu’il était plus jeune, qu’il avait une personnalité prompte à l’addiction. Il avait trouve cela plutôt étrange, puisqu’il ne s’adonnait a aucun des vices généralement considères par la société Hastane comme étant des addictions, affligeant surtout les hérétiques et les illégaux. La part de vérité dans les mots du vieux prêtre était que Josiah, avait en effet tendance à pousser aux extrêmes les activités qu’il appréciait. L’éducation vigilante de ses parents l’avait protége de bien des penchants nuisible qu’aurait pu lui apporter cette disposition, mais par le fait même, avait omit de remarquer cette tendance. C’est pour cela que Josiah agissait parfois sans trop penser, prenant des risques inutiles lui apportant les sensations fortes qu’il recherchait. Outre cette fâcheuse caractéristique qui, on voit bien comment, pourrait un jour le plonger dans de profonds pétrins, Josiah avait aussi la tendance d’être trop curieux, et surtout, d’avoir trop confiance en autrui. Certains l’auraient considéré naïf, mais la naïveté est stupide, alors que lui aimait croire qu’il pourrait y avoir du bon en n’importe qui. Encore une fois, la bienveillante supervision de ces parents l’avaient jusque là protégé des troubles qui auraient pu être causes par ce manque de prudence, mais laissé à lui-même, on n’aurait su dire quelle influence pourrait bien le faire dévier.
Ce n’est donc ni la force des circonstances, du drame ou le destin qui le poussèrent à voyager à Citria, mais sa propre volonté et le désir d’y faire sa place. L’aîné de quatre, il avait choisi de suivre les traces de son père et de s’exiler quelques temps, pour trouver sa voie et finalement retourner à Valardent. Pour le moment, c’était la vie militaire qui l’intéressait. La raison d’être de Valardent était premièrement le soutien de la garnison du fort de Valardent, ou les légions se succédaient dans la tâche de servir de ligne de défense contre les Gorlaks. Bien que les combats ne se déroulaient que rarement à cette altitude, le fort servait de poste de surveillance. L’enfance de Josiah avait donc été vécue à proximité de ces légionnaires, soldats et chevaliers avec leurs armes, leurs bannières et leurs couleurs à faire rêver. Mais c’était d’abord et avant tout les histoires qui avaient peuplées son imaginaire d’enfant. Nombre de fois, il s’était trouvé à écouter avidement les histoires d’un chevalier ou d’un soldat racontant histoires, légendes et anecdotes personnels sur la place publique. Il avait donc choisi qu’il suivrait le chemin militaire. Qui pouvait deviner quelle aventure lui amènerait cette décision?
Alors qu’il marchait lentement dans les rues de la grande ville, en quête d’un gîte pour la nuit, une brise légère semblait lui chuchoter à l’oreille les mots que son père lui avait adressés quelques jours auparavant, lors de son départ. Sa mère était là, ainsi que ses sœurs et son frère. L’instant avait été difficile, mais tendre, chargé d’émotions. Son père, comme a son habitude, avait parlé avec franchise et sincérité. Il avait pose un main sur l’épaule de son fils, et l’autre sur son front, en signe de bénédiction paternelle. « Mon fils, » lui dit-il calmement, « tu es devenu un homme bon, fort, et juste. Ta mère et moi sommes très fiers de toi. Tu as été pendant toutes ces années une bénédiction pour notre famille, et nous te laissons maintenant aller avec notre bénédiction. Il est temps que nous te partagions avec d’autres, et nous le faisons avec plaisir, pour le profit de la nation Hastane et pour la gloire d’Odéon. Qu’il te protége et te garde dans tes projets, et puisses-tu toujours rester digne de sa faveur. Vas, et sois fier de ta contre, de ta famille, de ta nation, et de toi-même. Je sais que tu es capable d’accomplir de bonnes choses. Nous t’aimons, et nous te gardons dans nos prières. Revero mon fils. » L’accolade qui suivit fut longue et chaleureuse. Puis, à tour de rôle, chacun vint lui dire ses aux revoirs. Sa sœur Marianne, de deux ans sa cadette, vint l’embrasser, les larmes aux yeux et un sourire aux lèvres, en glissant dans sa main un symbole sacré d’Odéon, qu’elle avait elle-même confectionné pour lui. Son frère, David, qui l’avait toujours considéré comme un héros, vint ensuite lui donner une accolade, quelque peu gêné, mais laissant paraître sa fierté a travers son sourire. Puis, la plus jeune, sa sœur Anna, encore une enfant de 6 ans, vint s’accrocher à sa jambe pour exprimer son affection. Il passa une main dans ses longs cheveux roux-blonds, puis la pris dans ses bras, lui frotta le nez et la serra contre lui. Finalement, il salua sa mère en l’embrassant sur le front, alors qu’elle pleurait en silence, avec toute la dignité d’une femme hastane. Josiah se trouva à sourire à la mémoire de sa famille. Il avait du les quitter pour un temps, mais ils se retrouveraient tous un jour.
Il franchit le seuil d’une auberge bien fréquentée. L’endroit était propre et bien éclairé. Assis aux tables et au comptoir, un bon nombre de clients consommaient un repas qui emplissait la salle d’un arome agréable. Personne ne remarqua son entré, autre qu’une jeune femme chargée de saluer les visiteurs.
« J’aimerais un repas chaud et une chambre pour la nuit. » annonça-t-il d’un ton poli avant qu’elle n’aille pu le saluer.
« Certainement messire, » répondit-elle. « Allez voir Robert, l’aubergiste, derriere le comptoir là-bas. »
« Meldis. » répliqua Josiah en inclinant poliment la tête, avant de se diriger vers l’aubergiste, sentant bouillonner en lui toute l’excitation de découvrir ce nouveau monde, de trouver une nouvelle aventure, et de vivre la vie pleinement.