Taverne du Griffon doré, un soir d’hiver, route reliant Citria au bourg de Clairbois …
L’air froid soufflait dehors, faisant vibrer les lourds volets de bois. Dans la salle commune de la taverne, une poignée d’hommes occupaient une table près du feu de cheminée. Difficile d’occuper les soirées d’hiver, les marchands ne se déplacent guère par un temps pareil et les fermiers des alentours préfèrent de loin rester dans leur foyer…
Heureusement il y avait toujours quelques irréductibles, bien décidés à taper le carton ce soir encore. Une chance pour Lyderic car il était décidé à regagner ce qu’il avait perdu la veille. Il en imposait au milieu des paysans et citoyens laborieux de la campagne. Pas qu’il soit vraiment grand non … Son physique peut être ? Grand, aux cheveux longs et bien peignés, il était plutôt athlétique. Pourtant bien des paysans le dépassaient sur ce point, leurs épaules larges et leurs dos voûtés donnait l’impression d’avoir été taillés dans le granit.
L’homme à sa droite fit la donne … Avec des gestes lents et mesurés, il distribua les cartes, unes par unes.
Lyderic jeta un coup d’œil à son jeu, sans se départir de son habituel sourire. Le père Fernand en face de lui réprima un tremblement. De tous il était le plus acharné au travail. Veuf depuis peu, il sombrait lentement dans l’alcoolisme. D’évidence il n’avait pas de jeu et allait pourtant miser ce qu’il avait gagné aujourd’hui à la sueur de son front… Lorsque le jeu vous attrape vous ne pouvez plus lui échapper.
Les mises commencèrent. Rapidement, les deux autres joueurs se couchèrent, ne laissant plus que Lyderic et le père Fernand. Le visage de ce dernier coulait de sueur alors qu’il plaçait sur la table les derniers sous qu’il possédait. Blême et apeuré, il allait devoir se serrer la ceinture des semaines s’il perdait ce coups là. L’inverse lui permettrait d’acheter de la viande et hélas quelques bouteilles réconfortantes.
Après quelques secondes de réflexion, le jeune homme se leva, sans un mot. Il posa laissa son jeu sur la table, face cachée.
"-J’abandone messieurs. Je n’ai pas eu de chance ce soir non plus… Je me retire donc."
Il leur adressa un sourire poli alors qu’il reprenait son lourd manteau de laine sur le dossier de sa chaise. Il reprit, d’un ton franc où pointaient tout de même une nuance de regret.
"-Mes félicitations Fernand, j’espère bientôt avoir ma revanche. Bonne soirée à vous tous messieurs. Valar."
Alors qu’il passait la porte, s’engoufrant dans le froid, il entendit derrière lui.
"-Valar « petit monsieur » ! Je ne sais pas si tu seras capable de revenir avec de l’argent la prochaine fois !"
C’était vrai … Trouver de l’argent n’avait jamais été facile pour Lyderic. Dans un monde de fermiers, gagner sa vie en tant qu’artiste était difficile.
Dans l’auberge, alors que les rires retentissaient et que le vieux Fernand commandait déjà sa première bouteille de poison, l’un des joueurs ramassa les cartes. Se faisant, il retourna le jeu de Lyderic et l’exposa aux yeux de tous. Le carré de chevaliers menés par le roi rouge. Un jeu certain de gagner… Ils levèrent tous un regard incrédule en direction de la porte par laquelle le jeune homme était parti …
Fainéant, bon à rien. Lydéric l’était peut-être. Il ne labourait pas, n’élevait aucun animal et ne faisait rien de sa vie. L’écriture et la musique sont des passe-temps d’enfants riches.
Tant dénigré et pourtant son cœur n’était habité par aucune malice. S’il fallait en choisir un, autant que ce soit lui qui se serre la ceinture plutôt qu’un pauvre bougre … Et tant pis pour le pain sec et pour l’eau, ca suffisait souvent à vivre…
Marchant dans le froid de la nuit, emmitouflé dans son manteau de laine, il repensa à la lettre qu’il venait de recevoir. Une audition a Citria ? Peut être enfin la chance de faire partie d’une troupe de théâtre. Qu’avait-il ici ? Une cabane certes solide mais qui manquait sérieusement de confort, ses chances d’épouser un jour une fille de la région étaient mince, tant les braves pères de famille se défiaient de lui … Qu’avait il à perdre après tout ?