La ville de Sainte-Luciane était perchée sur une petite colline, déboisée à son sommet. Deux petites tours étaient coiffées de roche et une troisième où se trouvait le pont-levis. Les murailles étaient basses, rugueuses, composées de pierres, poutres et torchis. Au centre, un donjon couvrait de son ombre une partie de la cour intérieure, pavée par endroit. Ce petit château qui ressemblait plus à une ferme fortifiée inspirait la simplicité, le bien être, la paix.
À l’intérieur, tous vaquaient à leurs occupations habituelles. Des femmes portaient en riant des corbeilles de linges, quelques maçons, au sommet du donjon, terminaient les réparations. Aux remparts, deux soldats armés d’arcs, arbalètes, ou encore de canons veillaient quand soudain, un son de corne retentit.
Sous la voûte obscure précédant la cour intérieure, un jeune homme d’une quinzaine d’année, brisé, chevauchant un cheval brun en tenant un autre, entra. Il était vêtu d’une chemise ensanglantée, de bottes couvertes par la poussière des chemins et semblait tombé de fatigue. Ses yeux étaient rouges, rouges d’avoir trop pleuré.
Aussi tôt, les gens se trouvant dans la cour s’assemblèrent autour de lui, tous connaissaient ce jeune homme qui n’avait pas encore entièrement achevé son enfance : Théobald.
Ils ne lui posèrent aucune question, tous savaient… Le Chevalier Gilbert de Sainte-Luciane était mort.
Quelques semaines plus tôt, le Roi avait envoyé ses hommes dans toutes les cités de son royaume : Il voulait réunir une troupe pour aller au devant d’une armée Gorlak.
La famille Sainte-Luciane était connue aux ’alentour pour sa loyauté à la couronne ainsi que la bravoure de Gilbert de Sainte-Luciane. Celui-ci, apprenant la prochaine bataille, s’empressa de préparer ses affaires.
Les valets n’osèrent dire mot, alors que Dame Luciane, la femme de Gilbert, s’exclama :
- Tu es fou ! Tu as contribué en suffisance à cette guerre, n’es-tu donc pas repu de tes précédentes batailles ? De ces inutiles appertises guerrières, et de cet amour pour les armes qui semble être plus fort que celui que tu me voues ! Dit-elle, visiblement en colère.
- Chevalier je suis ! Tel je vivrai, tel je mourrai s’il plait au Très Haut. Je marche dans l’étroit sentier de la chevalerie, méprisant richesses, mais non pas l’honneur. J’ai vengé des injures, j’ai redressé des torts, j’ai châtié des insolences. Je n’ai pas d’intentions qui ne sont droites et je ne songe qu’à faire le bien ! Un homme qui agit de la sorte, mérite-t-il d’être traité de fou ? Les trompettes du devoir me sonnent, et j’irai, qu’il t’en plaise ou non. Répondit Gilbert, sans aucune agressivité, mais fermement.
Après cela, quelques courageux osèrent donner leurs avis. Tous étaient en faveur de Dame Luciane. Le seigneur de Sainte-Luciane allait céder à sa femme, et aux autres gens quand Théobald, son plus jeune fils, lui fit part de son envie de l’accompagner à la guerre. L’envie de Théobald pour cette bataille fit plaisir au Chevalier, et fut l’argument décisif : Il partira et prendra avec lui son plus jeune fils en tant qu’écuyer.
Ils partirent donc trois jours plus tard, après de courts adieux, accablés par les regards désapprobateurs de Luciane. La chevauchée fut longue, les arrêts rares. Ils traversèrent de nombreux territoire et arrivèrent au point de ralliement.
Théobald n’avait jamais vu cela : Des milliers d’hommes armurés d’acier. Comme il était fier d’en être ! Comme il était certain d’être, avec son père, invincible ! L’ennemi fuira devant une telle armé, ils auront peur à la seule vu de ces aciers !
- Son père lui fit comprendre qu’il devrait attendre la victoire avant de s’en glorifier.
Trois jours plus tard l’armée fut au complet. Ils avancèrent lentement vers la ville convoitée. C’est après trois jours encore qu’ils arrivèrent à quelques lieues de la ville et décidèrent de s’arrêter, non loin d’une forêt pour parler de stratégie.
Ils restèrent face à cette forêt cinq jours, ne parvenant pas à se mettre d’accord et au sixième jour d’attente, à midi, alors que tous, ou presque, avaient enlevé leurs armures et lâché leurs armes pour manger, une pluie de flèches tomba sur la troupe, suivit d’une mêlée terrible et courte. L’ennemi s’était caché dans la forêt, non loin du campement, et avait attaqué par surprise. La confusion fut totale. Gilbert avait confié son destrier à son jeune fils en lui disant de partir, loin, et d’attendre la fin de cette bataille. Théobald s’était exécuté à la vu de ces ennemis.
Il revint deux heures plus tard, se reprochant de ne pas être resté aux cotés de son père... Il le chercha longtemps parmi les survivants, ne voulant pas croire que peut être, il gisait au sol, à quelques mètres de lui… Après plusieurs heures, il s’abandonna à chercher parmi les survivants et trouva son père, allongé au sol, une horrible grimace tordant son visage, l’épée à la main. Il s’était certainement battu comme un lion puisqu’il était navré de toute part. Ses yeux s’emplirent de larmes, et il pleura jusqu'à plus larmes, accroché à la dépouille de son père. Maintenant, il lui fallait rentrer… Affronté sa mère, son frère, et les autres… Il était le responsable de cette mort… Une mort qui attristerait tout le monde… S’il n’avait pas ouvert sa bouche, ils seraient en Sainte-Luciane, à labourer les champs, ou clouer des planches pour agrandir l’écurie.
Il saisit l’épée, et retourna chez lui…
Sa mère se fit une place dans l’attroupement autour de Théobald qui était enfin rentré de se voyage, puis elle fondit en larmes voyant que son mari n’était pas là… Elle tomba à genoux, bien que soutenu par deux hommes. Le jeune écuyer regarda sa mère un instant, le cœur labouré. Il voulait lui dire combien il regrettait, combien il avait honte, mais rien ne venait, sa tête était vide de mots, sa bouche entre ouverte n’émettait aucun son.
Il partit le soir même, après avoir robé une maigre bourse d’or. Il ne pouvait plus demeurer en Sainte-Luciane, il était trop rongé par le remord, il ne se sentait pas la force, et le courage de supporter les regards des autres.
C’est au port qu’il rejoignit un bateau envoyé sur Teilia…