Embarcation aux voiles sombres.

Confortablement couché dans son lit, à l'auberge, Nataniel contemplait le plafond, habillé de simples pantalons de tissus, laissant divaguer son esprit dans les mille et un songes de sa personne. C'est quand il entendit un homme courir dans les marches, laissant ses pieds cogner contre le bois de l'escalier, dans un fracas inhabituel pour les chambres, à l'étage, qu'il se redressa légèrement, ses iris aux reflets d'azur se déposant contre la porte de sa chambre. Le tout ne prit qu'une seconde avant qu'un homme, qui ne cogna aucunement, l'ouvrit, ou la défonça, en posant son regard affolé contre le Cavalier, qui lui, était surpris d'une telle intrusion.

- Edar !! Votre frère est au Centre de soin !! cracha alors l'homme, entre deux respirations difficiles, prenant appuit sur le cadrage de la porte, laissant toujours ses pupilles ravagées par la panique contre le jeune Écuyer.

Ce dernier écartilla les yeux, se redressant alors d'un bond, dévoilant son corps meurtris de part et d'autre, les cicatrices pratiquement omni-présente à son enveloppe charnelle. Le jeune Edar demeura un long moment paralysé, comme s'il pensait à une telle vitesse que son enveloppe corporel ne pouvait plus rien faire, ne pouvait plus agir.

- Comment se porte t'il ?!

- Il est mort, sieur.

À ces paroles, Nataniel fonça vers la porte, écartant l'homme d'un de ses bras, sans plus de courtoisie, avant de se rendre au Centre de soin, habillé comme un va-nu-pied. La rage se lisait dans ses traits, alors que la tristesse n'occupait plus aucune place à son faciès, chose commune pour cet homme plus enragé que sentimental.

Gabriel était d'avantage qu'un frère pour Nataniel. Il était son rival depuis toujours, mais sans garder la moindre colère à son endroit, simplement la compétition de devenir plus fort l'un que l'autre. C'était son partenaire de guerre, celui qui lui avait appris, au tout début, comment tenir une simple lame de bois, celui avec qui le jeune Edar s'était ensuite lié, passant ses journées entières en sa présence, arme en main, du réveil au souper, sans broncher, dans le simple espoir de tracer une ligne de supériorité entre les deux adversaires qui, depuis toujours, se retrouvaient à égalité. Il venait de perdre, en un seul décès, un frère, un comparse d'arme, sa désormais seule et dernière amitié et surtout l'homme envers qui Nataniel ressentait cet attachement démesuré qui donne le privilège aux hommes d'être au cher au coeur d'un autre.

Les souvenirs faisant à nouveau surface lors de son trajet vers le centre de Soin, les poings du guerrier se refermèrent durement, avant d'ouvrir la porte de ce même Centre. Le bois qui constituait cette même porte se heurta contre le mur de brique, laissant toutes les infirmières se retourner dans un réflexe de surprise et d'effroi.

- Où est-il ?! énonça dès lors l'intru, d'une voix peu courtoise, laissant son regard aller d'une dame à l'autre, inquisiteur.

Ces dernières lui désignèrent l'étage, là où le Cavalier se hâta de se diriger, d'un pas lourd, faisait fi de son accoutrement peu civilisé. Ses pieds se posèrent alors contre le marbre froid de la chambre, ses iris se posant contre le lit, où reposait Feu Gabriel D'Argon. Ses pas l'y guidant lentement, il tendit la main vers le voile qui recouvrait son visage, la respiration haletante, la gestuelle hésitante.

C'est lentement qu'il tira le voile et découvrit, à son immense tristesse, que Gabriel était bien mort, et reposait désormais, inerte, au Centre de soins.

Avec une intensité sans pareille, les souvenirs ressurgirent en lui, ses muscles se contractant à leur maximum, un cri de rage lui échappant alors que son poing s'écrasait contre le mur. Tombant agenouillé au sol, il appuya son front contre le mur qui était devant lui, les jointures en sang.

La salle fut vide, malheureusement, car c'est là que le jeune Écuyer se mit à pleurer comme jamais, les sanglots secouant ses épaules, son visage étant déchiré entre douleur et colère, incapable de choisir ce qui lui importait le plus entre la mort de son frère et la vengeance qu'il devrait mettre en branle.

Un long moment, il demeura dans cette position, incapable de se soulever, incapable de parler, laissant les larmes défiler à ses joues, innombrables, avant de s'écraser contre le sol immaculé de blanc.

Nul homme sur Teilia, peu importe son rang, statut ou encore puissance, n'échapperait à la conséquence que de tuer le frère du jeune Edar. En ce jour sombre et morbide, Nataniel laissait libre court à sa tristesse, en voyant combien les siens le quittait rapidement, trop rapidement. Des Trois Chevaliers de la Couronne, il n'en restait qu'un qui portait toujours l'arme et des trois Écuyers, il n'en restait qu'un en la Blanche, prêt à défendre les siens. Séphora et Nataniel étaient, pour l'instant, vivant et bien ancré en Citria.

En ce jour, Citria avait perdu bien plus qu'un Sénéchal. Il avait perdu le joyau de la Blanche, l'Imprévisible Gabriel D'Argon.

Jésabel avait poussé les portes de son centre avec grands vents. Nathaniel était là, en larmes. Elle s'approcha et glissa sa main froide contre l'épaule d'icelui. Comprenant sa peine, elle ne lui dit rien, parce que dans certain moment, le silence est d'or.

Elle s'approcha ensuite du corps et eut un haut le coeur en voyant qu'effectivement, les rumeurs étaient fondés. Le voile noir qui recouvrait le corps avait été changé pour celui d'un dras blanc et pure.

Elle prendrait contact avec Arvendor prochainement...

Elle jèta un dernier regard sur l'homme dont elle aurait encore voulu dire tant de choses, et disparue dans les marches du centre où elle alla s'enfermer dans son bureau..Elle devait rester seule, et pleurer son frère.

En patrouille hors des murs de la Blanche, dans la ville basse, il apprit la nouvelle par un passant qui sortait de la cité. Terminant alors sa ronde un peu plus court, il se dirigea vers la bibliothèque, sans un mot.

Arrivé sur place, il prit possession de plusieurs livres, en général des copies qu'il rapporterait, puis repartit avec des Psaumes et autres documents religieux.

Arrivé au Centre de soins, il entra tranquillement, après s'être signé, pour ensuite s'enquérir de la chambre où le trouver et s'y dirigea. En tentant de ne pas déranger personne, il prit une place en retrait de la pièce et entonna, à voix basse mais audible, des chants mortuaires et passages des livres qu'il avait apportés, priant pour l'Âme du défunt. De sa voix la plus grave, il énonçait prière sur chant, chant sur passage, passage sur prière dans une longue suite.

Souvent il répétait:

" Jamais tu n'as abandonné le Seigneur et jamais il ne t'a abandonné. S'il en est ainsi, c'est qu'ainsi le Seigneur a décidé qu'il en serait. "