La haine. Ce sentiment… Cette sensation… La main tremblante, la lame allourdie par le désir de pourfendre, le cœur battant à tout rompre, le regard alerte, la vision embrouillée, mais les sens en alerte. Où tout ceci était-il passé ? Où le pire défaut de l’homme était-il à présent ?
Couché sur son lit, la tête appuyé contre les mains, le regard figé contre le plafond, le cavalier demeurait pensif. Les images défilaient en lui. Ces trolls, tout autour de lui, leurs masses s’abattant contre lui. Ses réflexes l’avaient alors abandonné, le synchronisme qui sépare la victoire de la défaite n’était plus en lui, le regard évaluateur du guerrier émérite l’avait quitté.
Il avait failli. Et son bras en avait payé le prix.
Depuis un moment, on devait néanmoins avouer que le jeune Edar respirait la joie de vivre vu les heures passés en compagnie de sa douce, mais, au delà de ses rires se cachait une manie qui devait immédiatement cesser : Celle de négliger son devoir, son art, ce pour quoi il était né. Négliger la Guerre. Et il en eut payé le prix.
Certes, certes, le bras n’avait été que faiblement blessé, une blessure des plus mineures, mais son orgueil avait eu à encaisser davantage encore. La défaite, chose avec laquelle il avait eu à se débrouiller que très rarement, l’avait ainsi rongé, l’obligeant à reprendre les armes et ce, malgré un bras en piteux état. Il devait vaincre le mal par l’effort.
Ainsi donc, nuit après nuit, on entendait, sur le terrain de joute, un homme, seul, qui, tel un Cavalier solitaire, s’entraînait à la faible lueur de la lune, foulant et refoulant la terre battue de l’arène en exécutant des mouvements précis, avec un synchronisme qui, séance après séance, s’améliorait à un point tel d’en venir presque égaler celui qui fut autrefois le sien. En à peine quelques semaines d’entraînement, il avait réussit à redevenir un Cavalier respectable, mais jamais celui qu’il avait été et le fait de voir le Nataniel d’antan à jamais irrécupérable, à jamais perdu, sombrant dans les méandres de l’oubli éveilla en lui une rage qui fut sans égale.
Son regard ne voyait maintenant plus que faiblesse et mollesse en lui, et son bras ne désirait rien d’autre que de faire couler le sang et d’entendre les gémissements d’agonie de l’ennemi. Pensées obscures, trop pour l’homme qu’il était.
Suite à cette nuit, il demeura enfermé à l’étage supérieur de la bibliothèque, le nez constamment plongé dans des livres mythologiques et dans les Saints Récits d’Odéon, afin de finalement trouver remède à cette rage grandissante. Il devait trouver une solution pour ne plus être cet être obscur. Déjà il avait vu Soren sombrer ainsi que Liam, et jamais il ne devait devenir comme eux. Jamais. Il devait être droit, fier, sans faille.
À sa sortie, après des jours sans même en sortir, à se nourrir de vieux pain et d’une gourde pas assez remplie pour lui, il respira finalement l’air frais, tandis que son regard se porta sur la cité. Il était dénudé de rage, finalement, la haine l’avait quitter. Du moins, celle qu’il avait ressenti, quelques jours auparavant.
Reprenant l’entraînement, ses gestes se faisaient désormais plus fluides, moins instinctifs, mais Ô combien de fois plus contrôlé. Il développait ainsi donc, comme à ses débuts, une intime complicité avec la lame, tout en plongeant le nez dans les quelques Saints Récits, le soir venu.
La défaite avait éveillé en lui cette rage de vaincre, et cette rage avait, à son tour, fait surgir la contrôle de soi. Tout ceci, bien que paradoxale, laissait voir vagabonder, dans les ruelles de Citria, un Nataniel plus posé, qu’on pouvait presque nommer de mature.
Plus jamais il ne faillirait.