Kasilius… À peine le vieillard commençait-il à percer le mystère qu’était Nataniel Edar que ce dernier tombait. Qui avait bien pu tuer celui que le jeune Nataniel voyait comme son Rédempteur, comme son phare, celui qui, un jour, viendrait à le guider, à lui montrer le chemin qu’il devrait suivre. Celui qui était le dernier réel Hastane qui foulait toujours les ruelles de Citria. Le dernier.
Assis à sur son banc habituel, au fond de l’auberge, il était appuyé sur le mur derrière lui, toujours revêtu de son éternel harnois, armé de ses armes habituelles, comme immuables, le masque de marbre qui était désormais le sien siégeant à son visage. Ses yeux balayait l’endroit d’une manière désespérée, détaillant chaque Hastane présent, aucun d’eux n’ayant les réelles valeurs d’Odéon, chacun d’eux semblant tout droit sorti de Sombrum, à planifier fourberie et assassinat, sans prendre en compte Son regard. Rien de tout cela n’aurait dû se produire. Jamais Nataniel n’aurait dû s’absenter de la cité pour laisser place à ce virage drastique. Jamais.
Quelques piècettes cognèrent contre le comptoir, jetées pas la main du Cavalier, cependant que ce dernier se redressait de toute sa grandeur, entamant le pas vers la sortie de la salle, d’un pas qui était lourd et bruyant, chacun de ses gestes étant accompagné de divers cliquetis que laissait gémir son armure aux reflets d’argent.
Gabriel…
Marshall…
Cassidy…
Louen…
Liam…
Séphora…
Où étaient-ils donc ? Où était cette Cavalerie Royale qui n’aurait ni pitié ni faiblesse face à l’ennemi, ces répurgateurs aux destriers forcenés et à l’étendard haut hissé dans les massacres, dans les bains de sang que l’adversaire aurait à subir ? Où était ces grandes ambitions qui avaient fait rêvé le jeune Edar ? Où était la vie de laquelle il avait rêvé ?
Morte, en même temps que son frère Gabriel. Disparue, en même temps que son comparse de toujours, Marshall. Partie par couardise, tel celui qui aurait dû le redresser, Liam.
La nouvelle génération de Chevaliers s’était éteinte. Des quatre, il n’en restait qu’un à qui ni titre ni gloire n’avait été rattachée. Nataniel était le dernier rempart de ceux avec qui il avait rêvé, de ces Écuyers aux capacités inouïes, aux futurs glorieux et emplis d’honneur. Mais rien de cela n’était survenu. Ni Gloire, ni Renom, ni même gratitude des citoyens qui parlaient à Nataniel comme si ce dernier n’était qu’un simple mendiant.
Pourquoi servirais-je une cité qui me crache au visage ?…
Les mèches lui retombant au visage, il poussa la porte de la taverne, posant pied à l’extérieur, l’air frais venant effleurer sa peau, remuer sa chevelure dorée. Ses yeux s’élevèrent vers les cieux nuageux, noirci de par la nuit et faiblement éclairés de par la Lune hautement perché dans le ciel nocturne.
Reverrait-il sa douce ? Probablement jamais. Celle-ci avait aussi disparue, comme à son habitude, mais jamais il ne se permettrait d’aimer une autre qu’elle, pas après la dernière fois où il eut frôlé l’échec. Cette fois où Vandala et lui était tombé attaché l’un à l’autre et ce, trop rapidement, beaucoup trop rapidement. Résister fut le plus difficile. Le reste lui importait peu, puisqu’elle lui semblait revenue, dans ses bras, son doux minois à nouveau accessible à ses yeux avides de cette beauté qui lui semblait unique. Mais la tromperie planait, encore. Elle reparti sans un mot, comme toujours. Comme toujours…
Rabattant sa cape derrière lui, il entama la marche vers le port, là où l’attendait fidèlement son navire ainsi que son Capitaine, Rodolphe qui patientait à l’attente de Nataniel, un air inquiet planant au visage du matelot endurci.
– Z’êtes sûr d’voulair faire ça, m’sieur Nataniel ?
D’une voix défaillante, bégayante, il énonça ces propos en gardant son arcade sourcilière froncée, témoin de cette contrariété qui l’habitait face à ce que le Cavalier s’apprêtait à accomplir.
– Haec, je suis sûr, mon bon Rodolphe. J’ai laissé une pleine caisse de rhum pour vous à la banque. De quoi tenir quelques années. Vous avez été plus que serviable à mon égard, je vous lègue donc mon or, bon matelot.
Le visage de l’écuyer Edar était, quant à lui, compatissant envers cet homme pour qui sa personne avait tout été. Davantage qu’un maître, ses manières envers le seul homme qui naviguait sa modeste barque avait rendu ce dernier attaché à lui, sentiments réciproques.
– V’savez que j’naviguerais pour vous n’importe quand m’sieur, hin ? ‘Pas besoin d’tout cet alcool pour me payer, j’vous aime bien et participer à vos chasses ç’toujours bien intéressant, croyez moi !
– Je sais, je sais, mon bon Rodolphe. Mais je dois partir seul. Tâchez de prendre soin de vous, voulez-vous ?
Hochant de la tête vivement, le matelot détacha la corde qui retenait le navire au port, alors que le Chevalier embarquait dans la barque, où un sac et bon nombre de provisions l’attendaient fidèlement. Sa main vint s’emparer d’une rame, alors qu’il vint s’asseoir au sol, saluant Rodolphe d’un signe de tête courtois alors que ce dernier regardait le navire quitter, debout, sur le quai, seul et bien délaissé, là, alors que son maître et ami partait là où jamais il ne reviendrait.
Nataniel osa une œillade par-dessus son épaule, observant, pour la dernière fois, la Blanche Citria.