Portrait d'Hyara

Sujet: Portrait d'Hyara Jeu 28 Jan 2010, 5:44 am

Prédiction

«Attends-moi!», cria le petit garçon en se lançant à sa suite.
Hyara gravissait la bute en courant, bien vite rattrapée par son ami. Elle atteignit l’arbre avant lui, le seul régnant au sommet de la pente, le souffle exalté.
«J’ai gagné!», s’enthousiasma-t-elle, fière et victorieuse.
«Ça ne compte pas, tu es partie avant le signal», répliqua l’autre, essoufflé.
«Tu veux qu’on recommence, rien que pour voir?»
Ils dévalèrent le raidillon à toute vitesse, sauf que cette fois-ci, Valrick la devançait de quelques foulées. Il parvint à la clôture et l’enjamba sans aucune difficulté, mais la fillette ne se laissa pas impressionner par sa performance. Elle entreprit de la franchir à son tour, mais l’ourlet de sa robe resta coincé et elle tomba.
«Aïe!»
Val revint sur ses pas lorsqu’il s’aperçut qu’elle ne le suivait plus, allant s’accroupir à son côté.
«Ça va? Tu t’es fait mal?», lui demanda-t-il avec inquiétude.
«Haec, ma cheville», gémit-elle.
Il l’inspecta sommairement et donna son verdict d’un air solennel.
«Je dirais qu’elle est brisée»
«Mais nisi, elle n’est pas brisée!», corrigea la gamine qui serrait sa cheville endolorie.
«Qu’est-ce que tu en sais? Tu n’es pas médecin»
«Toi nisi plus, je te ferai remarquer!»
«Peut-être, mais je peux t’affirmer qu’elle est brisée...», répliqua-t-il en se redressant machinalement.
«Qu’est-ce que tu racontes? Si elle était brisée, mon pied se dissocierait du reste de ma jambe, argumenta la petite fille, s’aidant de la clôture pour se relever précautionneusement. C’est mon grand-frère qui me l’a dit! », renchérit-elle, le ton de sa voix ne laissant place à aucune réplique.
La prairie se situait loin de la ferme des Myriakis, et Valrick savait pertinemment qu’elle ne pouvait traverser le champ avec sa blessure.
«Reste ici, je vais aller chercher Caleb»
«Rester ici? Toute seule? Et si un coyote me tombait dessus? Je ne pourrai pas m’enfuir», dit-elle, ses grands yeux de biche miroitant la peur.
«Si tu en aperçois un, tu n’as qu’à fermer les yeux. Si tu ne le vois pas, il ne pourra pas te voir également. »
«Tu racontes n’importe quoi! Il va me voir et il va me croquer!»
«Fais-moi confiance, et de toute façon ça n’arrivera pas», déclara-t-il comme si c’était lui qui l’avait décidé d’avance.
Il coupa à travers champs pour se rendre chez les Myriakis, laissant la petite fille aux abords du pré.
Hyara s’accota contre la clôture dans l’attente de son retour, guettant les environs.

Les minutes passèrent et la jeune Myriakis épuisait sa patience. En attendant qu’ils arrivent, elle s’occupait du mieux qu’elle pouvait, traçant des dessins parterre avec une branche. C’est à cet instant qu’elle fit une rencontre inopinée.
La voix surgit dans son dos, la faisant sursauter.
«Petite fille», grinça la voix.
Hyara se retourna, mais elle ne vit personne.
«Je suis là.»
Son regard s’inclina, rencontrant une paire d’yeux bleus azuré sur un visage émacié, parcheminé d’une multitude de rides. La vieillarde était plus petite qu’elle, toute rabougrie et bossue, revêtant une toge trop ample dans laquelle elle paraissait encore plus difforme.
«Ils avaient raison. Tu es jolie, bien trop», déclara la vieille dame en l’accusant de sa canne.
Hyara reculait devant ses gesticulations, ne voulant pas recevoir un coup.
«Mais qui êtes-vous?», demanda-t-elle d’un air méfiant.
«Qui je suis? Je ne suis personne, mais toi…», répondit l’étrange personnage dans un sourire édenté.
«Vous ne me connaissez même pas!»
«Oh, mais au contraire. Je te connais, Hyara Myriakis, interrompit l’ancêtre en s’approchant d’elle. Haec, je te connais très bien.»
«Comment savez-vous mon nom?»
«Je le sais, c’est tout!, s’énerva la vieillarde. Tu es jeune, trop jeune encore. Dans quelques années, tu quitteras le nid familial et prendras ton envol. Tu accompliras de grandes choses…»
«Moi? Mais je n’ai rien d’extraordinaire. Je suis comme tous les autres.», rétorqua la douce enfant, plus suspicieuse que jamais.
«Nisi!, cria la vieille femme de sa voix aiguë. Tu n’es pas comme tous les autres! Tu as un don, petite fille. Un don que tu devrais exploiter.»
Elle marqua une pause, regardant les symboles qu’Hyara avait dessinés plus tôt. Sa figure s’allongea dans une expression de stupeur.
«Ces symboles… Où les as-tu vus?»
«Nulle part»
«Tu en es sûre? Ne me mens surtout pas, petite fille!»
«Je vous le jure, madame.»
«Alors... c’est donc vrai. Ils ne se sont pas trompés à ton sujet. Tu es l'enfant prodige. Tu es destinée à changer des vies, petite fille. Mais il faudrait que tu commences maintenant.»
Hyara resta incrédule. Pourquoi elle? Qu'avait-elle de si particulier?

«Je crois que vous faites erreur… », déclara la jeune fille, persuadée que la dame était un peu dérangée.
«Tu crois? Alors tu crois mal! Dis-moi, petite fille, pourquoi as-tu fait ça? »
La vieillarde lui montra les ébauches qu’elle avait créées à l’aide d’une branche.
«Bien… parce que je m’ennuyais. »
«Sais-tu ce que cela signifie? »
Hyara fit un signe de négation de la tête.
«C’est une formule magique interprétée par l’écriture la plus mystique qui soit : les symboles. »
«Une formule magique? » fit l’apprentie Myriakis, impressionnée.
Alors la vieille femme se mit à débiter des paroles étranges dans une langue inconnue à son oreille. Les dessins d’Hyara s’illuminèrent d’une lueur bleutée, prit de l’intensité et se propagea sur elle. Elle se dissipa tout d’un coup, dans un genre d’éclair sonore.
«Ma cheville!, s’écria l’enfant avec étonnement. Elle ne me fait plus mal! »

«Comment avez-vous fait ça?», s'enquit la petite, ouvrant de grands yeux.
«C'est simple, j'y suis pour rien. C'est grâce à toi, petite fille, répondit la vieille dame dans un sourire édenté. Tu as douée, très douée. Ils le savaient dès le départ, et maintenant ils fondent tous leurs espoirs sur toi.»
La petite Hyara parut douteuse, mais l'étrange protagoniste commençait à gagner des crédits. Après tout, n'était-elle pas remise de sa blessure grâce à quelques mots?
«Douée, vous dites? Nisi! J'arrive même pas à grimper la clôture sans me briser en deux», renchérit la petite avec défaitisme.
Alors la vieillarde se mit en colère, ripostant avec véhémence.
«Cesse de douter de toi! Je connais ton avenir comme si je l'avais moi-même conçu d'avance. Plus tard, quelle femme tu seras! Très belle et très convoitée, mais attention! Certaines personnes voudront te causer du mal, car elles craindront tes pouvoirs. Tu deviendras une puissante magicienne et tu serviras la Blanche citée.»
Elle extirpa un livre de sa manche et le lui tendit. La fillette s'en empara d'un geste prudent.
«Prends ceci. Ta vie commence aujourd'hui, petite fille. Quel âge as-tu?»
Hyara hésita.
«Euh... je sais pas. Chez moi, on n'accorde pas d'importance au temps. On vit au jour le jour. Les années, on ne les compte pas... Ça déprime maman.»
La vieille se mit à grincer furieusement.
«J'ai peut-être huit ans... Je crois.»
«Dans à peu près dix ans, le garçon et toi quitterez le foyer familial pour vous établir à Citria. D'abord, il va falloir que tu connaisses le fondement primaire des arcanes. Tu devras aiguiser tous tes sens afin de te connecter avec ton environnement. C'est ainsi que tu parviendras à tout maîtriser : le temps et l'esprit. Lorsque tu auras compris ça, tu apprendras vite. Quelle élève tu seras! L'école de magie à Hildrim t'accueillera à bras ouverts»
Hyara l'écoutait avec une grande attention, de plus en plus convaincue par son discours. Tout commençait à prendre son sens...

C'est que la petite couvrait un obscur secret.

«À présent, petite fille, je dois te laisser. Tu as tout ce qu'il faut pour accomplir les grands desseins qui t'attendent. Ne nous déçois pas. Nous comptons sur toi...»
Hyara ouvrit la bouche, une foule d'interrogations s'entrechoquant dans sa tête.
«Kal Ort Por»
La dame avait disparue, la laissant sans réponse.

Valrick et Caleb arrivèrent peu de temps après, retrouvant une Hyara parfaitement apte à se mouvoir. On l'accusa d'avoir fait semblant, mais la fillette connaissait la vérité.

Sujet: Re: Portrait d'Hyara Jeu 28 Jan 2010, 5:54 am

L’handicap

«Quand j'étais plus jeune, enfin je veux dire, plus jeune que je le suis en ce moment, j'avais un ''handicap''. Du moins, c'est ainsi que mes parents le voyaient. En grandissant, j'ai bien fini par les croire. Je n'étais pas malheureuse, même si l'on me tenait loin des autres enfants sous prétexte que j'étais trop fragile. Je l'étais, c'est vrai, mais je connaissais la vraie raison pour laquelle on me gardait isolée de tous. J'étais différente...
Mes seuls aspellors étaient Valrick et Caleb, mon seul et unique grand-frère. Eux aussi étaient au courant pour mon ''handicap'', et ça les a toujours un peu effrayés. Il faut dire que parfois, j'entendais des choses qui me rendaient vraiment triste. Je me suis mise à me détester, et ma confiance en moi était si basse que n'importe qui aurait pu la piétiner. J'étais un peu comme le phénomène de la famille, et ceux qui me connaissaient étaient à la fois fascinés et terrifiés par la faculté dont j'étais douée. Douée... Je dirais plutôt accablée! J'entendais tout, absolument tout! Quand je ne pouvais les entendre, elles se traduisaient par un flux d'images, ou alors par des bruits indistincts, subreptices. Dès fois, ça m'apeurait à un point tel que je fermais les yeux et me concentrais sur mes propres pensées. Juste les miennes...Être seule m'apportait un bien fou!»

Sujet: Re: Portrait d'Hyara Jeu 28 Jan 2010, 5:54 am

L’eau trouble

«MAMAN! Elle se noie encore!»

Sous le regard effaré de son grand frère, Hyara luttait pour garder la tête à la surface de l'eau.
Athya Myriakis apparut dans le cadre de la porte, la main en visière. L'étang était tout près, mais elle ne voyait que Caleb sur la terre ferme.
Pas encore...
«Cours chercher ton père!»
Le garçon s'exécuta. Athya dévala la pente en un rien de temps, terminant sa descente sur l'étendue d'eau agitée par les brasses désespérées d'Hyara. Cette dernière se laissa submerger, les membres engourdis par l'épuisement.
C'est alors qu'une main l'agrippa et l'extirpa des profondeurs obscures. Une voix paniquée l'interpellait, puis une autre se joignit à elle, plus grave. Elle pouvait les entendre en sourdine, mais son esprit était retenu ailleurs. Tout près...

Elle regardait Auldrik, son père, qui tentait de la réanimer. À son côté, sa mère était agenouillée, frôlant l'hystérie. Son frère se tenait à l'écart, témoin impuissant de la scène, prenant sa tête entre ses mains. La gueule qu'il faisait le rendait coupable. Un autre acteur s'était ajouté à la scène. C'était Valrick, accompagné de son chien Elhya. Probablement qu'il avait entendu les cris poussés par Athya. À la vue du corps inerte, il se figea, ouvrant de grands yeux terrifiés.
«T'en fais pas Valrick! Je vais bien. Maman? Papa? Vous m'entendez?»
Elle n'obtint aucune réponse. Alors elle s'adressa directement à la petite fille étendue parterre.
«Hyara! Réveille-toi! Tu fais peur à tout le monde... Hyara!»

C'est alors qu'une vive lumière s'heurta contre ses iris, les paupières péniblement soulevées. Elle vit d'abord le visage soucieux d'Auldrik, puis celui d'Athya. Plus loin, Valrick et Caleb, tous les deux entrelacés, prêts à se réconforter mutuellement.

C'était la quatrième fois, au cours de l'année... Depuis ce jour, l'accès à l'étang lui était catégoriquement interdit.

Ça ne l'a pas empêché d'y retourner...

» Le portrait d'Euryale