[Accouchement à Taica]

La jeune femme dormait paisiblement, mais légèrement, dans les bras de son mari. Autour d’elle, des bruits d’insectes, des hurlements d’animaux à l’occasion, une nuit profonde, noire. Car ils se trouvaient à Taïca, près de la forêt, là où la vie grouillait.

Ce ne sont ni les cris des bêtes sauvages, ni le gazouillement des oiseaux, ni les efforts frénétiques des insectes qui l’éveillèrent. Ce qui la réveilla, et elle s’en souviendra toujours, c’est cette douleur au bas du ventre. Elle ouvrit les yeux, souleva un peu les couvertures, puis paniqua. Les contractions.

« Logan… »

« …hummm….. »

« Logan ! »

« Humm’haec ?! »

« Va chercher Sharath… »

Il ne se le fit pas dire deux fois, il comprit sur le coup. Il comprenait toujours sur le coup.

Il s’éclipsa un instant, puis, l’instant d’après, Sharath entrait, l’air peu surprise, l’air aucunement nerveuse ou hâtive ou craintive. Pour peu, on croirait qu’elle était ennuyée qu’on l’ait réveillé pour aussi banal événement. Plus de deux cents-ans, elle avait du voir plusieurs naissances…

Elle s’approcha, lui jeta un bref regard, ce regard, froid, calculateur, le regard que Viviane redoutait chez elle. Puis, avec un air attendri, rassurant, la nargolith lui prit la main, et les craintes s’envolèrent, et Viviane remettrait entre ses mains sa vie et celle de ses enfants.
Le chat se mit au travail, affairé, systématique, laborieux. Derrière elle, un regard nerveux observait tous les mouvements dans la pièce. Un regard qu’il n’offrait qu’aux autres : ses proches.

Elle avait mal, c’était l’horreur, pas comme un coup qu’on reçoit, ça venait de l’intérieur, il y avait un intrus en elle, et il devait sortir.

Combien de temps cela faisait-il ? La jeune femme poussait des cris, vociférait, agonisait. Elle crierait pendant ce long moment, réveillant les habitants, alertant les animaux. Pendant ce temps, Logan tournait autour, passait des commentaires, se plaignait de ceci et de cela. Elle ne l’écoutait pas, elle tentait de l’ignorer. Sharath parla pour elle. Surement est-ce qu’elle lui avait menacé de l’attacher et de l’égorger. Bonne chose : Logan se tut et arrêta de bouger pendant un moment. Parfois, il lui murmurait quelques paroles. Elle lui en était reconnaissante, sans vraiment écouter ce qu’il lui disait, elle savait qu’il voudrait souffrir à sa place. D’ailleurs, il lui a surement répété cent fois pendant toute cette torture.

Après un long moment, elle n’en put plus. Quelque chose ne marchait pas, ça aurait dû être terminé depuis longtemps. Elle fit part de ses remarques à Sharath. Cette dernière se montra compréhensive et usa du tact légendaire qu’on lui connaissait. Donc, après que Logan ait rattrapé le chat outré pour la convaincre qu’elle faisait tout de la meilleure des façons, il fut convenu que Viviane ne piperait mot, ne se plaindrait de rien et se contenterait de faire sa part du travail.

Ce fut long et laborieux.

Puis, des cris autres que les siens envahirent la pièce. L’enfant était né !
La jeune femme releva un peu la tête, épuisée, pour poser son regard sur l’enfant en question. Déjà, Logan l’avait dans ses mains, ébahit.

Quelque chose clochait…cela lui faisait toujours aussi mal, et Sharath s’était remise au travail. Viviane ne comprenait pas. Elle tenta de demander à Logan. Il s’occupait de l’enfant. Elle tenta de demander à Sharath, elle était occupée à l’intérieur de ses jambes...

Après un moment, elle comprit que la source de ses malheurs venait d’une réplique du premier enfant. Une bonne blague, si on voulait son avis. Avis qu’elle s’abstient de donner.

Cela lui faisait toujours mal, elle voulait dormir, s’effondrer, son amie s’approcha d’elle, un enfant dans le bras, un sourire triomphant aux lèvres, les yeux pétillants. Elle l’aida à se redresser puis elle lui tendit l’enfant qu’elle put enfin tenir. La justification à toutes ses souffrances, récompensées à l’infini. Elle tenait dans ses mains son enfant, le fruit de ses entrailles qu’elle avait porté neuf mois durant. Elle le tint un bon moment, l’embrassant, puis Sharath le reprit pour le nettoyer, tandis que Logan, triomphant, vint l’embrasser sur son front, un autre bambin aux bras.

Elle ne savait plus ce qui s’était passé ensuite, était-elle tombée ? S’était-elle évanouie ? Le noir.

C'était le premier accouchement auquel Logan était témoin. À chaque instant et à chaque petit changement d'état de sa femme, sa nervosité était renouvelée et devenait de plus en plus envahissante. Cela faisait déjà une heure qu'il tournait en rond autour du lit et pour cacher ses craintes, il dissimulait ses mains tremblantes derrière sa cape.

Puis, parfois, il s'arrêtait pour inspecter les faits et gestes de Sharath qui agissait comme sage-femme. Il lui reprocha d'abord de ne pas s'être lavée les mains et ensuite, après un allez-retour nerveux, il lui reprocha d'agir trop sèchement. En tout son humeur était exaspérante et énervait si bien Sharath que tel un chat elle lui montra bien les crocs pour lui faire savoir qu'il était de trop dans l'équation. .

Et pour se faire pardonner ses écarts de conduite, il se penchait à l'oreille de sa femme pour lui murmurer quelques paroles aimantes et réconfortantes et cela pour mieux continuer ensuite sa routine. Toutefois il était une chose dont Viviane devinait pertinemment par ce manège, c'était bien l'amour inconditionnel d'un époux qui se saignerait à blanc pour elle. Car à chaque contraction de la dame, le jeune sieur contractait ses muscles faciaux. À chaque hurlement de douleur qui suivait, Logan serrait bien fort les poings. Ah, il jurait tout haut vouloir être à sa place et souffrir mille fois ce qu'elle endurait.

Quand Sharath dit tout haut qu'une tête se présentait, l'ivresse monta d'un seul trait. Sa nervosité fut terrassée par un sentiment plus fort, plus vaillant : la joie. C'est seulement quand il pu voir un résultat que son esprit pu se soulager des craintes mal fondées d'un époux trop aimant. L'enfant vit le jour assez rapidement et sans complication. C'était un petit garçon qui exprima vite son mécontentement de n'être plus au chaud.

C’est un garçon !

Sharath scinda le cordon Ombélical et tendit l'enfant vers Logan qui l'attendait avec fébrilité. Les bras ouverts, il accueillait contre son sein son premier né : Loïc.

Mais Viviane poussa un autre cri qui alerta Sharath et Logan. Les deux devinrent blêmes et retournèrent déréchef à son chevet. L'épouse était toujours en contraction et forçait corps et âme. Une autre tête pointait.

Tudieu! Mais il y en a deux!?

En effet, un deuxième garçon se frayait un chemin vers la lumière. Aidé par les mains de Sharath et par les contractions de sa mère, il pu naitre sans difficulté aucune. Alexandre suivait son frère jumeau de quelques minutes et il criait aussi bien que lui, c'est-à-dire à plein poumon..


Ce soir là, épuisée à outrance, Viviane pu s'endormir avec deux bambins dans les bras. Alors qu'elle sommeillait paisiblement, Sharath et Logan échangèrent un long regard complice.

L'un et l'autre savait que ce jour serait à tout jamais gravé dans leur mémoire.