Justice aveugle

Sujet: Justice aveugle Jeu 18 Mar 2010, 12:57 pm

«Hyara ? Hyara réveille-toi.»

La voix prenait de l’ampleur dans son esprit, le possédant dans son intégralité.

«Hyara ! Il faut que tu te réveilles, tu fais un mauvais rêve. Hyara !»

Elle s’extirpa brusquement de son sommeil, récupérant momentanément ses sens. La dure réalité la rattrapa d’une poigne féroce, anéantissant l’infime particule d’espoir qui subsistait en elle. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, l’obscurité heurta ses pupilles qui se dilatèrent afin de mieux la percer. C’était une obscurité pleine, presque opaque, comme un lac ténébreux dans lequel se noient les âmes innocentes. Hyara s’était résignée à se laisser couler, car même si elle luttait, ils la tireraient vers les profondeurs. Parce que c’était leur volonté. Parce que la vérité ne pouvait être qu’un mensonge. Des accusations sans fondement, des fabulations, et même des anecdotes montées de toutes pièces. La sale affaire ! Hyara n’a pas cherché à plaider sa cause, docile comme elle est, mais elle se rebiffa lorsque Malory énonça les inculpations dont on la vitupérait. Des médisances, des distorsions, des redondances… La belle était abasourdie par ce dégueulis de fables. Vint ensuite la sentence. Lorsqu’elle l’entendit, elle sombra dans un état parfaitement catatonique. Plus rien ne lui parvenait. Le Comte, Malory et de Châtillon discutaient, en sourdine, tandis qu’elle pénétrait leur tête. Pas de remords. Un petit peu. Du dégoût. Mépris… Pitié. Un concours de circonstances, de hasards… Des faits non établis, des suppositions. À ce qui paraît, les victimes le sont seulement lorsqu’elles ont le sentiment d’en être une. Hyara préférait culpabiliser plutôt que devenir l’une d’entre elles. Des images surgirent dans sa tête, se définissant avec une précision effarante : Gilbert, son tortionnaire, lui infligeait diverses souffrances. Le sang infusait, les coups partaient tous seuls et ses os se fracturaient. Cette vision la persécuta à un tel point qu’elle ne voyait même pas Viviane, campée devant la grille, ni son expression vaguement désolée. Ils disposèrent pour planifier le sort qu’ils lui réservaient, la laissant à elle-même… À un songe lointain. La jeune fille s’abandonna à une torpeur comateuse, sans rêve, ni lumière. La noirceur. Elle venait de s’endormir profondément, quand la voix lui somma de se réveiller.

Les rayons du soleil, filtrés par les carreaux de la fenêtre, lui caressaient le visage. Elle serra les paupières, fronça le nez avec mignardise, et émit un faible grognement.

«Comme tu es belle quand tu dors.»

Ses yeux s’ouvrirent sur un visage serein, souriant. Elle reconnut son chevalier, l’ombre d’un sourire se projetant sur ses lèvres entrouvertes.

«Tu me regardes dormir ?»

«Je te regarde tout le temps.»

Soupir d’aise. Il referma ses bras sur sa frêle silhouette, et elle y trouva sa tanière. L’oreille contre son torse, elle écouta sa respiration, lente et profonde. C’était ça, la paix.

«Je t’aime.»

Brutale réalité. Ce n’était qu’un fantasme. Un cruel mirage, comme un oasis dans un désert infini.
Une fois éveillée, elle éprouvait la douloureuse envie de pleurer. Elle avait mal à la gorge tant elle était nouée, et malgré son silence, les larmes violaient la barrière de ses cils pour parcheminer son visage. Sa voisine nargolithe, pas mal amochée, l’épiait avec un sentiment confondu d’indifférence et de compassion.

C’est triste, mais c’est la vie !

Hyara ne lui prêtait pas attention. Il fallait attendre… Attendre qu’une justice aveugle opère. Attendre d’être châtiée pour des conjectures. Seule une entité du Circan connaissait ses bonnes intentions. Seule elle pouvait les raisonner. L’hastane essayait de ne pas trop y penser. Un poème d’images se répéta dans sa tête. Elle essayait de le voir, lui et lui seul.

Sujet: Re: Justice aveugle Lun 22 Mar 2010, 3:38 pm

L’absence prolongée d’Hyara se faisait de plus en plus remarquée, alarmant plusieurs citoyens de la Blanche On en parlait même à l’extérieur des remparts, dans certaines régions des landes teiliennes, là où on pouvait parfois l'apercevoir entrain de se faire de nouveaux aspellors. Des aspellors… La pauvre a été bien trop naïve de croire cela. Des pervers, des profiteurs, des hypocrites… et même des traitres. Malgré qu’elle les entende penser, jamais elle ne leur a prêté de mauvaises intentions. Hyara est ainsi. Elle est tellement rationnelle qu’elle ne fait pas toujours la distinction entre le Bien et le Mal, sachant qu’il existe un bon fond dans chaque être vivant, même les plus corrompus. Des soupçons se formulaient et l’on regardait le Comte Gondemar d’un œil accusateur. Après tout, c’était lui qui avait mené cette inquisition jusqu’à son arrestation, et tout le monde connaissait son extrémisme sans précédent. Si ça se trouve, Hyara gisait déjà au fond de sa cellule, dans une marre de sang, les cheveux taillés et les vêtements en lambeaux.
Une certaine rumeur de mécontentement se soulevait des habitants de Citria, bien vite encadrée par les gardes. L’ordre ne devait pas être troublé. Il fallait pourtant réagir devant cette injustice!
À sa demande, un garde lui avait fourni un papier, une plume et un encrier afin qu’elle puisse s’occuper un peu. Hyara n’avait subi aucun mauvais traitement : elle ne pataugeait pas dans son sang, n’avait pas les cheveux coupés, ni les vêtements déchirés. Elle était un peu sale, mais encore là, elle s’entretenait assez bien. Elle s’affaissa à la rédaction d’une lettre. Une lettre qui ne parviendra sans doute jamais à son destinataire.

«Vikénia, je m’adresse à vous. Je sais que vous ne lirez probablement jamais cette lettre, mais pour des raisons inconnues, vous êtes la seule à qui je pense sans culpabiliser. J’ai perdu la notion du temps. Je ne sais même pas depuis combien de jours je suis ici. Ils disent qu’ils ont des preuves accablantes contre moi, que je suis une hérétique qui pratique la nécromancie. ~~Je ne sais pas où ils vont chercher cela.~~ Cela m’a surprise, même choquée. Vikénia, je crois que j’ai trouvé une façon de m’évader d’ici. Pour vous dire la vérité, je sais exactement comment faire, mais c’est une mauvaise idée. Cela m’incriminerait. Je ne sais pas quand est-ce qu'ils vont me libérer... vaut mieux ne pas y penser. Je dois vous dire valar, le Comte peut arriver à tout bout de champs. Je vous promets que je vous redonnerai bien vite de mes nouvelles.
Avec aspellorité,

Hyara Myriakis»

«Alio Vikénia. C’est encore moi, Hyara. Aujourd’hui, ils ont libéré la nargolithe qui habitait la cellule voisine. C’est un jour heureux pour elle, je suis contente. J'ai l'impression que mon tour ne viendra jamais... Citria est intransigeante. Sa justice, aveugle. ~~Cela me navre de les voir se retourner contre moi, après tout ce que j’ai fait pour certains d’entre eux.~~ Je ne devrais pas dire de telles choses. Je sais, c’est horrible. ~~Maas avait raison~~…

H.M»

Sujet: Re: Justice aveugle Sam 27 Mar 2010, 10:03 pm

Elle dissimula les lettres dans son décolleté juvénile (semblable au buste d’un garçon âgé d’environ douze ans), et chaque jour, elle remplissait les espaces. Son écriture rapetissait, de plus en plus illisible. Elle continuait avec la ténacité d’un scribe aguerri.

«J’ai cruellement besoin de me confier… mais à qui, si ce n’est que vous? Je vous ai comprise, vous. Je sais ce que c’est d’être considérée comme un monstre. Enfin, je le savais… Heureusement qu’ils ne savent pas tous pour moi. Je vous plains, ma pauvre aspellor, vous qui êtes confrontée aux préjugés à cause de ce que vous êtes. Vous ne pouvez pas fuir, ni vous confondre à la masse. Je devrais me compter heureuse, car certains acceptent mon handicap, tandis que les autres l’ignorent complètement. Tenez bon, Vikénia… Rien ne peut être foncièrement mauvais, j’en ai l’entière conviction. Il subsiste du bon dans tout ce qui nous entoure, que ce soit mes gêoliers, mon futur tortionnaire ou bien même ceux qui me détestent. Moi, je ne peux pas les haïr, et jamais je ne le pourrai. La haine, c’est la colère des faibles. Je ne peux qu’être désolée pour eux.»

L’écriture était plus précipitée vers la fin. Maas revenait en piteux état. Son cœur se serra dans une crampe douloureuse, comme si elle souffrait pour lui.

«Maas…?»

«…»

«Maas, que t’ont-ils fait?!»

Sujet: Re: Justice aveugle Sam 27 Mar 2010, 10:28 pm

Jour de sa libération. Étrange sentiment de confusion. À la vue de son chevalier, son cœur exalté fit un bond dans sa poitrine. Il venait encore à sa rescousse, pour la énième fois. Sentiment confus entre la joie et la tristesse. Maas qui était derrière elle, et elle qui devait foncer vers l’avant, tête basse.

Faut pas se retourner...

C’est difficile de dire au revoir.

Comme elle aurait aimé lui témoigner toute sa gratitude ; s’abandonner à une étreinte passionnée en l’embrassant violemment, les cheveux dans le vent et un soleil déclinant à l’horizon! (vous savez, ses retrouvailles si émouvantes, romancées et un peu trop fleur bleue? Eh bien, ce n’était pas le cas. Hyara est constipée émotionnellement).
Ils se rendirent à la taverne, après s’être prudemment minouchés devant l’écuyer Edar. Une fois arrivés à leur destination, les choses se gâtèrent. Nataniel fulminait à la vue d’Aldrick, qui courtisait sa douce, et une tension s’était établie entre Hyara et son preux chevalier. Qui a dit que sa vie était un conte de fée? Elle était plutôt parodiée, dramatisée et effrénée. Juste son enfermement était une vraie plaisanterie! Enfin, de son point de vue à elle. Hyara n’avait pas qu’un seul don secret ; elle possédait aussi celui de l’auto-dérision. Donc, Séphora s’en alla de son côté, Nataniel du sien, et elle resta plantée là comme une belle cruche. Des regards curieux, interrogatifs et indignés s’arrêtèrent sur elle avant de diverger, tous étonnés.

Qu’est-ce qu’elle fout là?

Ça rapporte gros, donner son cul au plus offrant!

Pauvre petite Myriakis… mais en même temps, elle est si étrange! Peut-être que les rumeurs sont fondées.

Quel beau gâchis, quand même!

Bien fait pour elle, elle et son petit air supérieur! Je ne sais même pas ce qu'ils lui trouvent, elle est si maigre. Bientôt, elle leur ressemblera!

Pauvre gamine...

Qu'ils lui foutent la paix, une bonne fois pour toute!

Trop de pensées, trop fortes! Elle se releva d’un bond, quittant prestement les lieux. Quelques-uns de ses tourments la suivirent jusqu’au claquement de la porte, où ils se dissipèrent en fumée.

Sujet: Re: Justice aveugle Dim 28 Mar 2010, 1:38 pm

«Chère aspellor, à vous qui ne connaîtra sans doute jamais ma détresse. Je m’étais promise de ne plus vous écrire, mais c’était plus fort que moi. Aujourd’hui, j’ai pris la résolution de ne plus commettre de bêtises. Je ne dois pas sortir de la ville, ni parler aux étrangers : les nargoliths, notamment. C’est drôle comme j’ai l’impression de retomber en enfance, quand mes parents guettaient le moindre de mes gestes. Maintenant que je suis libérée sous les conditions de la Blanche, sous la tutelle du sieur d’Argon, je dois me soumettre à leur volonté. Je comprends cette conséquence et ne m’y oppose aucunement. J’ai la ferme intention de ne plus le décevoir et d’écouter ses directives. Je veux me conduire comme une personne normale ~~afin qu’il m’aime plus fort.~~ Je veux qu’il soit fier de moi…»

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