J'aurais mit une dizaine d'années pour renoncer à avoir mon père rien qu'à moi. Dix ans pour réussir à dépasser le stade de la jalousie et pour arrêter de jouer des tours à mes belles-mères et futures belles-mères.
A chaque fois que je tapais du pied ou faisais un caprice, je passais les deux jours qui suivaient en mortifications et en prières.
Capricieuse, haec, hérétique, certainement pas !!
J'avais réussit le tour de force de faire fuir tous les fiancés que papa me dégottait. Et mieux encore, j'arrivais à m'en faire détester avant même qu'on ne soit officiellement présenté.
J'avoue avoir éprouvé une certaine fierté. Je restais la fifille à papa, son cher et tendre papa. Mon papa rien qu'à moi... et à la centaine de jeunes femmes qui passait dans son lit.
Il m'aura fallut également dix ans pour comprendre que le père que j'adulais était loin d'être la perfection incarnée. On prenait soin d'éviter de dénigrer ma mère que j'adulais et adule encore, mais personne ne prenait de gants pour me donner la vérité quant à mon paternel.
Bien que je ne portais que le nom de famille de maman, je me mis à ajouter "Garath", comme pour mieux signifier la lourde chaine que je trainais derrière moi.
J'ouvris les yeux sur ce qu'il était.
Bien sûr, compte tenu de ma ferveur, j'aurais pu me détourner de lui. Mais je ne le fis pas. L'amour était et est toujours intacte. Simplement, j'ai renoncé à faire de lui un digne Hastane. Son installation à Tyrimar me porta un autre coup dans le coeur. La présentation de cette jeune fille, plus jeune que moi faillit achever l'enfant aimante que je suis.
La présentation de mon "futur" fiancé fut de trop. Les trois ou quatre filles qui vivaient ici furent une pierre de plus dans ma lapidation, mais je tenais toujours bon.
Qu'importe que le meilleur aspellor de papa me regarde comme si j'étais une montagne de choux à la crème et qu'il fut affamé, qu'importe que la moitié des jeunes femmes près de mon père fussent plus jeune que moi... qu'importe même qu'il se comporte étrangement avec sa meilleure aspellor, troublant jusqu'à sa petite aspellor...
...Ce fut finalement le Mortanyss qui acheva ma détermination. Terrifiée, je quittais le domicile paternel, bien décidée à ne plus jamais y remettre les pieds.
Les semaines ont passé. La Cathédrale est devenue mon refuge. J'y passe mes jours et mes nuits, fuyant avec honte le monde extérieur.
Je poursuis inlassablement ma quête de rédemption auprès du Chevalier D'Argon. Je m'efforce de ne pas trop l'agacer, mais chaque fois qu'il m'écoute et ne m'évite pas, c'est une petite victoire pour son âme.
Je jette un oeil par la fenêtre. Je me rends compte que je me sens seule. Chaque jour qui passe, je m'abandonne à la prière. Je sais que je mourrais en prière, seule mais fervente.
Delyna me manque plus que jamais. Je me sens comme amputée d'une partie de moi. Nous étions deux soeurs... on se croyait jumelles, mais curieusement, je suis la seule à souffrir de son absence. On dit qu'il y a toujours un jumeau plus amoureux que l'autre. Je crois bien que c'était moi.
Les cris de joie de mes petits frères m'arrachent un sourire. Avant de mourir, j'aurais élevé mes petits monstres et ce seront des hommes et des femmes dignes d'être les suivants du Circan.
Je devrais refermé ce journal et aller prier un instant. Ou deux. Peut-être aurais-je la chance de tomber par hasard sur Liam, cette âme époustouflante.
Je guette nos rencontres. Je suis amoureuse de son âme. Je le trouve tellement passionnant, tellement intéressant.
Nous avons passé une soirée délicieuse, même si j'ai passé mon temps à parler. Cilias, ce que je peux être bavarde. Curieuse, bavarde et gourmande.
Et chiante... Tous mes défauts en quelques mots.
Le pauvre... il voulait m'inviter à entrer à la taverne pour qu'on puisse partager le pain et le fromage que je venais de lui proposer. Mais... je ne peux pas entrer dans la taverne.
Du coup, le voilà qui m'invite chez lui. Et moi de rejouer ma chieuse : Vos soeurs sont-elles à demeure ? Je ne puis entrer chez vous sans chaperon.
Qu'il est embêtant parfois d'être vertueuse. Mais juste parfois. Car je ne puis que trouver le bonheur dans la vertu. Sa vision des hastanes est pure délice. J'ose espérer qu'il arrivera à changer les choses. Mes prières seront là pour l'accompagner.
J'entends des cris. Mes adorables petits frères ont entrepris de jouer au Mortanyss... Je laisse donc ma plume à l'instant pour intervenir.
Puisse Odéon veiller sur leurs jeux innocents.