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| [BG des quinze ans] Séphora D'Argon | |
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Séphora D'Argon Citadin Vétéran
Nbre de messages : 1660 Age : 36 Localisation : Bruxelles, Belgique Inscription : 16/12/2006
| Sujet: [BG des quinze ans] Séphora D'Argon Ven 06 Fév 2009, 3:18 pm | |
| [Note: ce BG se lit à la suite de celui pondu par Vincent, à l'adresse suivante => Petite Fleur. Bonne lecture ]
Il faisait nuit noire. Le ciel expiait les dernières gouttes de son crachin habituel. Les pierres du Colisée tinrent tête à la rage céleste de la foudre. En son sein, un terrible combat venait d’y être mené. Et venait de s’achever. Sur l’épaule d’une liche, c’était Vincent, l’Obscur comme on le surnommait par-delà les frontières de Citria, qui sortit de l’édifice en premier. La légende disait que l’âpreté des combats avait été tel, que c’était le sang même des valeureux guerriers qui soudait les pierres de l’imposante construction. Son regard vitreux put néanmoins, avec une rage certaine, constater que son adversaire n’était pas mort.
Un phénix renaissant de ses cendres, il en avait toute l’image. S’extirpant avec peine des décombres sous lesquels il avait été précipité, c’est en expirant lourdement qu’il se redressa, le buste poussiéreux et ensanglanté. Mourir, il n’en avait pas le droit. Et même s’il le pouvait, ce n’était pas à lui qu’il ferait ce plaisir… Le regard ténébreux du Hastane suivait la course de la liche, qui marchait vers Mortancia d’un pas lourd. D’instinct, il se pencha vers l’épée et le fléau qui trônaient à ses pieds. D’un simple coup d’épée, il pourrait tuer cette liche, qui se cantonnait à un rôle de porteur. Et d’un dernier moulinet, la masse de son fléau pouvait s’abattre sur Vincent, mettant ainsi fin à ses souffrances.
Il le savait, il y songeait ardemment. Néanmoins, il préféra les laisser partir, rengainant les armes à sa ceinture, si tant est qu’elle n’avait pas été arrachée par la fureur de l’affrontement. Cette douleur qui l’animait, il pouvait la deviner pire encore chez son ennemi. De la rancœur, de l’insatisfaction, de la peine… C’est avec ce trophée que le Sombre repartait vers Mortancia. En tout bon Hastane, Séphora s’en serait voulu de le priver d’une telle humiliation auprès des siens.
- Vis donc le reste de tes jours avec le cœur lourd et l’âme douloureuse, Vincent. Tu ne mérites rien d’autre.
Ce sont les mots qu’il employa, se parlant ainsi à lui-même. Malgré tout, peut-être l’ouïe fine de son téméraire agresseur put capter ses paroles. Toute sa fierté et son arrogance, tout son mépris s’exprimaient en ces termes. Vivre dans la souffrance était certainement pire que de mettre fin à son existence. C’est ainsi, qu’inconsciemment, le Chevalier scella le destin de Rose, la meilleure amie de sa fille, Morgane… Le pas lourd, les traits fatigués, il sortir lui-même du Colisée, et y récupéra les rênes de son destrier. Loin de vouloir le faire souffrir, il accompagna la marche de Bucéphale à son côté, les iris sombres s’attardant sur la robe d’ébène de l’étalon zélé. Avant même de satisfaire ses propres plaies, il s’attarda d’abord à panser la blessure de celui qui supportait depuis moult années son poids dans ses chevauchées. Plus qu’un moyen de transport, plus qu’un simple cheval, il y voyait un ami, un égal. Et ce dernier rendait bien à son maître toute l’affection qu’il lui portait. C’est d’une surprenante docilité qu’il laissa l’Hastane nettoyer la plaie à l’alcool d’abord, avant de la badigeonner copieusement d’un onguent apaisant. Il couvrit alors la blessure de bandages, et laissa la palefrenière se charger de donner à l’étalon ce dont il avait besoin: du foin et du repos.
Malgré ses nombreuses blessures, il n’éprouvait pas de douleur. Certes, Vincent ne l’avait pas manqué, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais en cette nuit froide, il avait accompli son devoir. Seul, le Commandeur avait freiné les sombres desseins d’une âme malsaine, qui souhaitait piéter sur les terres du Juste. Le bras mutant de son adversaire errait quelque part sous les décombres, dans l’arène du Colisée. Quelle douce pensée… Un sourire marqua ses lèvres à cette idée: l’oiseau de nuit avait perdu quelques plumes lors de cette virée nocturne. Il en éprouva un certain plaisir.
Mais ce ne fut que de courte durée. Bientôt, l’aurore fit rappeler au Chevalier l’état dans lequel il se trouvait. Torse nu par une nuit antérieurement pluvieuse, son accoutrement dépouillé ne manquerait pas d’en surprendre plus d’un. A l’insu de ses enfants, et sans doute avec l’aide de Vitalie, il prit soin de nettoyer ses multiples blessures, de laver son corps, afin de faire disparaître les affres d’un tel combat. Son honneur aussi bien que sa fierté s’en trouvaient grandies, mais cette lutte l’avait considérablement affligé. Dans un comité restreint, composé essentiellement de ses pairs Chevaliers, Cassidy et Louen, qu’il considérait comme son frère, de son apprentie Loreleï, ainsi que de Marius, le nouveau Haut-Diplomate, et de Vitalie ; tant de gens qui lui inspiraient confiance, il conta ses mésaventures avec le plus de fidélité possible. Mais les dommages qu’avait subi le Colisée, ainsi que la vue de deux individus y livrant un combat, avait tôt fait de se répandre en Citria telle une traînée de poudre. Bientôt, les rumeurs les plus folles coururent au sein de la Citadelle. Ce n’est qu’après avoir déblayé l’arène, que l’on retrouva ce bras mutant, et que l’on comprit le pendant et l’aboutissant de telles rumeurs. Tantôt on l’acclamait, tantôt on le critiquait, tel fut toujours le sort du Hastane à l’allure sombre, mais personne ne semblait rester indifférent face à cette dernière frasque.
Fort de sa brève convalescence, Séphora réfléchissait. Depuis sa vie de jeune homme jusqu’à ce jour, il avait servi sa patrie dans la Légion d’abord, dans l’Armée de l’Aube ensuite. Durant sa carrière, il fut connu pour être un homme fort de ses convictions, qui ne taisait pas ses opinions, même si cela contrevenait à l’opinion de ses supérieurs. Comportement qui lui valut des honneurs, mais aussi des renvois, des dégradations et le blâme de multiples personnes. Il avait su se relever de ses épreuves, et gardé la tête haute. Et même lorsqu’il se vit pointé du doigt comme fautif de tous les maux de Citria, une partie non négligeable de la population lui resta fidèle. Mais maintenant que la guerre était terminée, et que la reconstruction de Citria avait été achevée, il se sentait las, vieux, défraîchi. Brièvement, il avait pu en parler avec son entourage, maintenant c’était chose certaine. Il était temps pour l’Hastane de laisser son blason à quelqu’un d’autre…
Peu de temps après, lors d’une réunion de l’Armée de l’Aube, il toisait les rangs de ses soldats, avec Cassidy à ses côtés. Jamais, étant jeune, il n’aurait pensé faire ce qu’il s’apprêtait à faire. Après les banalités d’usage, et les nouvelles les plus importantes, il prit la parole après que son comparse la lui ait cédée, et entonna son discours sans grande cérémonie, mais toujours avec la force de langage qu’on lui connaissait.
- Mes braves frères d’armes. Aujourd’hui, il se peut que vous fêtiez, car je ne vous le cache plus: je me fais vieux, alors que ma charge demande de la jeunesse. Moi, Séphora D’Argon, Commandeur de l’Armée de l’Aube et Chevalier de la Couronne, j’ai longtemps été votre supérieur, et ait tenté de mener avec conviction nos lames et nos aciers contre les forces impies qui grandissaient hors de nos remparts. Loin d’ignorer ma part de responsabilité dans le destin que connût notre peuple, c’est avec courage et acharnement que ma lame pourfendit chaque assaillant qui croisait sa route, jusqu’à ce que nous fussions engloutis par les armées multiples de nos précédents ennemis. Dans un contexte déjà fragilisé, il est apparu que le Peuple d’Odéon, contre toute attente, ne pouvait pas surmonter n’importe quel obstacle en des temps troubles. Et malheureusement, je l’appris à mes dépends, tout le bien que vous ayez pu faire au cours de votre existence est balayé par vos erreurs, tenaces camarades vous poursuivant jusqu’aux enfers. Les mauvaises langues font pleuvoir leur venin, denrée devenue bien populaire en notre belle Cité. C’est pour faire taire toutes médisances à notre sujet, que je pris la décision de passer la main, et de laisser mon poste de Commandeur à qui s’en trouvera digne. Il fut injuste que je reste, et fasse ainsi reposer le tribut de mes échecs sur des soldats qui, toute leur vie durant, ont enduré tous les maux du monde, afin d’éviter de les faire connaître à Citria. Je n’ai pas peur de l’avenir de l’Armée de l’Aube, car je connais toute la valeur qu’elle dissimule si bien sous ses pesantes armures. Alors que par le passé, elle fut morcelée, j’ai bon espoir qu’à présent, elle coule des jours meilleurs, plus unie que jamais, aussi bien dans l’oisiveté que dans l’adversité. Mon conseil, le dernier en tant que votre supérieur, sera le suivant: n’ayez jamais peur de vos opinions, et luttez bec et ongles pour les défendre. Ne soyez pas honteux de susciter admiration ou, au contraire, profond mépris. Il existera toujours quelques fous pour vous maudire et critiquer vos actions. Mais sachez que l’on ne condamne que ceux qui agissent. Soyez haïs, craints ou louangés, couverts de gloire. Mais n’indifférez jamais, car le Peuple d’Odéon n’a de mémoire que pour ceux qui ont l’audace d’agir. Et, je ne le sais que trop bien, malgré toutes les peines que l’on veut bien vous faire porter à tort, vous ne méritez pas de sombrer dans l’oubli.
Les mots s’éteignirent progressivement au fond de sa gorge, et malgré son visage endurci, l’émotion submergea intérieurement le Chevalier impassible. Les rangs s’étaient tus, d’abord par discipline, ensuite par respect pour leur ancien dirigeant. Il salua ses frères d’armes, et quitta la Caserne sans se retourner. À son passage, certains visages s’étaient morfondus dans une morne aphasie. Pour d’autres, on voyait déjà les lumières de la joie ou de l’opportunisme briller dans leurs yeux, chose qui ne surprit pas le guerrier.
Le pas lourd et retentissant sur les pavés de la voie principale, pour la dernière fois, l’Hastane paradait jusqu’au château, vêtu de son uniforme, où il informa le Souverain de sa décision. Il lui remit tout le nécessaire qu’il avait enduré à travers les âges, et bien qu’avant sa nomination à la succession au trône, l’ex-Commandeur faillit croiser le fer avec lui, le Roi ne douta jamais de sa fidélité, simplement de la qualité de ses informations et de son supérieur malintentionné. En soi, cette confiance lui suffisait, puisqu’elle venait de la personne à qui il jura allégeance durant son serment de Chevalier.
À trente-cinq ans, sur le porche du palais, c’était un homme neuf qui émergeait. Un homme libéré de ses obligations militaires, laissé à ses premières inspirations. Un homme brûlant d’un désir; celui de voir la Chevalerie renaître... | |
| | | Séphora D'Argon Citadin Vétéran
Nbre de messages : 1660 Age : 36 Localisation : Bruxelles, Belgique Inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: [BG des quinze ans] Séphora D'Argon Ven 06 Fév 2009, 3:22 pm | |
| Cinq ans plus tard.
La vie reprit son cours au centre des landes. Citria, qui subit de nombreux aménagements, sortit renforcée de sa dernière défaite. Elle en profita pour faire peau neuve, et offrit un nouveau visage aux contrées étrangères.
Que de changements au sein des rues de la Sainte Cité. Alors qu’il fut rare, auparavant, de rencontrer représentants de peuplades éloignées, le Royaume regorgeait maintenant de diversité. Une seule chose n’avait pas changé: peu importe sa race ou ses origines, le peuple de Citria jurait toujours foi envers le Circan. Que l’on vénère un nom ou plutôt une valeur, tous étaient mus par la même volonté. Celle d’un havre de paix où la justice rayonnerait plus que nulle part ailleurs.
Le printemps répudia les dernières volontés d’un hiver tenace avec une rapidité déconcertante, et la bonne humeur générale envahissait l’Hastanie. Tout habitant de Citria vivait avec allégresse les premières douceurs des chaudes saisons; la famille D’Argon, comme toutes, ne dérogea pas à la règle.
Depuis son départ volontaire de l’Armée de l’Aube, Séphora coulait une vie paisible, ayant installé sa jeune famille au sein de la bâtisse de l’Ecole de Chevalerie. École qui, d’ailleurs, avait ouvert ses portes et accueillait plusieurs disciples zélés, qui partageaient le même rêve que leur tuteur.
De Commandeur, il redevint Séphora dans l’esprit de la populace, bien que son titre lui permette de jouir d’une renommée certaine. L’âge aidant, cette nouvelle charge qui lui incombait lui pesait moins que les devoirs de la guerre. Plus que d’apprendre à tuer, il apprenait maintenant à vivre. À bien vivre, tel que les préceptes du Code l’imposaient. Gabriel et Morgane, durant leur enfance, purent suivre des yeux, depuis les fenêtres de leurs chambres, les cours octroyés par leur père, aussi divers soient-ils. C’est sans doute cela qui motiva les deux jeunes âmes à rejoindre l’Hastane impétueux. Avec dévotion, chaque fois que le Souverain le lui demandait, il assurait sa protection du mieux qu’il le put, et retournait ensuite à ses préoccupations premières. À peine savaient-ils marcher, que les deux jeunes bambins étaient hissés sur la scelle de leurs chevaux, jeunes étalons un peu patauds encore, mais dont l’ascendance assurait un brillant destin. Depuis trop longtemps, il avait négligé l’éducation de ses enfants, au profit de ses fonctions au sein de la vie militaire. Il espérait ainsi inverser la vapeur, bien décidé à rattraper le temps perdu auprès d’eux. Il passa le plus clair de son temps à côtoyer ces jumeaux si chers à son cœur. Il apprit à les connaître, et retrouvait en eux, au fil des années, parfois le mauvais caractère, parfois la gentillesse de leur défunte mère, ce qui lui arracha de nombreux rires. De concert avec leur gouvernante, l’Hastane assuma enfin son rôle de père, et leur dispensait les valeurs qui lui étaient chères.
Le bonheur était omniprésent pour la jeune famille; tous coulaient des jours heureux sous la tutelle paternelle, mais le destin rappela bien vite ce dernier au passé houleux et aux souffrances d’antan... Comme un rituel, les matinées de Morgane étaient réglées comme du papier à musique. Après quelques balades à cheval, accompagnée de son frère et de son père, elle exigeait, de sa petite voix fluette mais non moins autoritaire, de rentrer vers Citria, où elle pouvait donner l’accolade à son amie d’enfance, jeune fleuriste au sourire inaltérable. Et pour l’avoir vue à nombreuses reprises, le Chevalier se réjouissait que sa fille se lie d’amitié avec elle, un enfant dont son apprentie, l’évêque d’Amaya, assurait l’éducation.
Durant le repas, Morgane adorait assommer les personnes présentes de détails sur les conversations qu’elle entretenait avec Rose, toujours énergique, ce qui parvenait facilement à fatiguer les personnes les plus endurantes. Mais plus que de la blâmer, on riait de sa vivacité. Autant elle était vive et bavarde, autant son frère agissait déjà comme un adulte, l’attitude de sa sœur l’exaspérant, du haut de son air taciturne et cynique. Morgane montra par ailleurs le pendentif de son amie, qu’elle avait gardé à son cou, en l’échange de son ours en peluche, cédé à Rose pour la journée. Cependant, le lendemain, les pleurs envahirent la cour de la bâtisse. Descendant en hâte de scelle, la fillette n’eut d’autre choix que de se jeter au cou de son père, et de lui faire comprendre, en des sons gutturaux que les larmes rendaient difficilement compréhensibles, que son amie ne comptait plus parmi les rues peuplées de la capitale. Contrariée de ne pas avoir pu récupérer son ourson à l’heure prévue, quelques paroles réconfortantes suffirent à lui faire perdre sa méchante humeur, bien qu’inquiète pour son amie d’habitude toujours présente.
Alors, une fois les larmes séchées, tous deux prirent le chemin de Citria d’abord, main dans la main, l’imposante stature du Hastane susceptible de faire perdre courage aux quelques malandrins qui eurent croisé leur chemin jusqu’à la Citadelle. Le visage au naturel avenant du Chevalier gagnait en rudesse, chaque pas qu’il imprimait succombant d’un tintement métallique contre le dallage de la via principale. La petite fille, quant à elle, relâchait la main de son père pour courir quelques mètres plus loin, où ils purent observer le petit étal de fleurs où l’on retrouvait Rose en toute habitude.
- Tu vois papa, elle n’est pas ici! Tu sais où elle se trouve, dis? On va la retrouver hein, tu le promets?
Le regard ténébreux dévia alors des divers bouquets, jusqu’à la fillette devant lui, sortant de ses songes avec difficulté. Dans un effort, malgré le doute qui l’assaillait, il prit un air assuré, et de sa voix grave par nature, il laissa entendre à sa fille les mots qui la rassureraient.
- Bien sûr Morgane. On va la retrouver ensemble, ne t’en fais pas.
C’est en un sourire que sa tirade se finit, bien que le cœur ne s’entendait pas dans son affirmation. Et sans plus tarder, ils reprirent la route, après qu’ils aient vérifié qu’aucun indice sur cette inquiétante disparition n’ait été laissé près de l’échoppe. Un profond malaise envahit l’esprit de l’Hastane, qui n’en laissait néanmoins rien voir, comme si l’expérience accumulée au sein de l’Armée lui dictait de se préparer au pire. Et cet instinct n’avait pas tort...
Toute la journée durant, la fille et le père écumèrent une à une les rues de la Cité, scandant à relai le nom de la disparue, sans jamais toutefois entendre de réponse en retour. Épuisés d’un tel effort, mais toujours déterminés à la ramener en sécurité, ils poursuivirent leur but, mais cette fois hors de Citria, fouillant les environs boisés ou les plaines étendues. Le Soleil, imperturbable, décrivait son arc dans le ciel, et se retrouvait proche de l’horizon maintenant, teintant le ciel de reflets ocres et violacés. Infatigable, Morgane joignait ses mains près de sa bouche, afin d’en faire un porte-voix, et criait toujours le nom de Rose, alors que son père, éreinté par cette marche tout d’armure vêtu, posa une main sur le tronc d’un arbre, reprenant son souffle. Pourtant, le contact l’intrigua, car plutôt que de sentir l’écorce vieillie au contact de sa paume légèrement calleuse, il sentit un parchemin de bonne facture, chose qui l’interpella. Une fois le souffle recouvré, il se redressa, et tout en détachant le ciseau à bois qui le maintenait contre le tronc, lut ce qu’il y était écrit.
'' Chaque chose à une fin ... même pour la plus magnifique des Petites Fleurs. ''
Haussant les sourcils alors, sentant une fougue certaine le gagner, son cœur secouant sa poitrine avec rapidité, il levait la tête et lorgnait tout autour de lui, cherchant Morgane du regard. Par chance, elle était toujours là, un peu plus loin, attendant sans doute son père pour progresser. Le guerrier se rendit ainsi compte que leurs pas les avaient menés à proximité de la forêt morte, en lisière du pays Mortanyss. Reconnaissant le goût certain pour la mise en scène, ses doutes prirent peu à peu l’apparence d’une affreuse vérité. S’approchant alors de sa fille, qui redoublait d’ardeur, il posa alors sa main sur sa frêle épaule, ayant au préalable plié le parchemin dans sa besace.
- Je te reconduis à la maison, Morgane. Il se fait tard, je continuerai les recherches seul.
Son ton, bien que perturbé, ne souffrait d’aucune hésitation ou d’aucune objection, si bien que la fillette se résigna en hochant la tête, et bien que penaude, reprit route vers l’Ecole de Chevalerie, en compagnie de son père, plus inquiété que jamais. À peine furent-ils arrivés, que Séphora harnacha Bucéphale, et se rua au galop vers la forêt morte...
Les craintes fondées se révélèrent à ses yeux après quelques temps, chevauchant dans la forêt, face à face avec l’honnie vision. Les lèvres pincées, réprimant alors les cris de colère qu’il eut proféré, il s’avança une fois descendu de scelle, et observa à regrets le corps mutilé et nu de la fillette, l’ourson de sa fille tenu dans ses bras, assise contre un pilier rocailleux. Un seul coup d’œil suffisait à savoir qu’elle était morte, et que la macabre mise en scène ne pouvait être signée que d’un seul homme. La gorge nouée, le visage fermé, il prit la jeune fille dans ses bras, après l’avoir détachée de ses liens, et dissimula son corps dans sa longue cape sombre, prenant ainsi l’air d’une enfant paisiblement endormie. Il reprit place à dos de destrier, maintenant toujours la fillette contre lui, et balbutia quelques mots, alors que le trot les menait, lentement, vers les remparts de la Cité Blanche.
- Que de souffrances endurées pour une pauvre jeune fille. Va dans les bras d’Odéon maintenant, et repose en paix...
Quelques heures plus tard, le Chevalier martelait les portes de la Cathédrale, espérant qu’un monial accède à sa requête. Un homme en bure lui ouvrit, surpris d’être dérangé en une heure si tardive, et ne manqua pas de le faire remarquer au guerrier.
- Et bien Chevalier, n’avez-vous plus conscience de l’heure? La nuit est avancée, et je me faisais un plaisir de sombrer dans le sommeil.
- Peut-être qu’une enfant embrassée par la mort saura vous retenir loin de votre lit, moine. Laissez-moi entrer, que je puisse vous éclairer sur ces tragiques circonstances.
Pour le moins surpris d’une telle annonce, lorgnant vers l’enfant couverte de la cape de l’ancien militaire, il referma derrière eux, et put reconnaître à regrets le visage livide de l’enfant dont le Clergé avait la charge. Le ton morne et monocorde, il expliqua les pendants et aboutissants de cette histoire, présentant Rose comme la victime d’une lutte entre lui et un hérétique, à qui il laissa la vie sauve, pour qu’à jamais il ne vive blessé, dans la honte. Après quoi, il laissa aux bons soins de l’Eglise l’opportunité d’organiser de décentes funérailles en l’honneur de la défunte fillette, qui enjouait les rues de Citria par sa bonne humeur et sa joie de vivre.
Le cortège funèbre eut lieu le lendemain, suivi de loin par le Chevalier, tenant fermement les rênes de cuir, qu’il fit crier sous la pression qu’imprimait sa poigne guerrière. Le regard embué par les larmes qui se refusaient à couler, il se remémorait encore, un peu plus tôt au matin, les mots qu’il chanta à sa fille candide.
- Alors papa, tu as retrouvé Rose? , fit-elle, d’une voix enjouée et pleine d’espoir.
- Nisi, mais j’ai demandé aux prêtres s’ils avaient eu vent de ce départ, et ils m’ont avoué que ses parents s’étaient manifestés, et qu’ils étaient partis vivre dans la bourgade. Ils m’ont d’ailleurs dit qu’elle regrettait de n’avoir pu te dire valar, mais qu’elle penserait fort à toi. D’ailleurs, elle a préféré garder ton ourson pour toujours se souvenir de toi, et que de ton côté, tu pourrais toujours observer son pendentif pour te la remémorer.
- Oooh... Tu sais papa, je suis triste de ne plus pouvoir la voir, mais elle doit être heureuse maintenant qu’elle a de nouveau un papa et une maman. Elle ne sera plus jamais seule, comme ça.
Un délicat sourire vint orner les lèvres de Séphora, tandis qu’il hochait la tête, bien qu’il s’en voulut de mentir ainsi pour la préserver. Mais un mensonge pieux est permis, et dans le fond, la Petite Fleur rejoignit ses parents au Circan. Des pétales de rose furent parsemées durant l’oraison funèbre. Une rose que l’on arracha à la vie; une rose bien trop douce, et munie de bien trop peu d’épines... | |
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